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Aujourd'hui, en Europe, le jaune est une couleur discrète, peu présente dans la vie quotidienne et guère sollicitée dans le monde des symboles. Il n'en a pas toujours été ainsi. Les peuples de l'Antiquité voyaient en lui une couleur presque sacrée, celle de la lumière, de la chaleur, de la richesse et de la prospérité. Les Grecs et les Romains lui accordaient une place importante dans les rituels religieux, tandis que les Celtes et les Germains l'associaient à l'or et à l'immortalité. Le déclin du jaune date du Moyen Âge qui en a fait une couleur ambivalente. D'un côté le mauvais jaune, celui de la bile amère et du soufre démoniaque (signe de mensonge, d'avarice, de félonie, parfois de maladie ou de folie). C'est la couleur des hypocrites, des chevaliers félons, de Judas et de la Synagogue. L'étoile jaune de sinistre mémoire trouve ici ses lointaines racines. Mais de l'autre côté il y a le bon jaune, celui de l'or, du miel et des blés mûrs (signe de pouvoir, de joie, d'abondance). À partir du XVIe siècle, la place du jaune dans la culture matérielle ne cesse de reculer. La Réforme protestante puis la Contre-Réforme catholique et enfin les « valeurs bourgeoises » du XIXe siècle le tiennent en peu d'estime. Même si la science le range au nombre des couleurs primaires, il ne se revalorise guère et sa symbolique reste équivoque. De nos jours encore, le jaune verdâtre est ressenti comme désagréable ou dangereux ; il porte en lui quelque chose de maladif ou de toxique. Inversement, le jaune qui se rapproche de l'orangé est joyeux, sain, tonique, bienfaisant, à l'image des fruits de cette couleur et des vitamines qu'ils sont censés contenir.
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Aimez-vous le vert ? À cette question les réponses sont partagées. En Europe, une personne sur six environ a le vert pour couleur préférée ; mais il s'en trouve presque autant pour détester le vert, tant chez les hommes que chez les femmes. Le vert est une couleur ambivalente, sinon ambiguë : symbole de vie, de sève, de chance et d'espérance d'un côté, il est de l'autre associé au poison, au malheur, au Diable et à ses créatures. Le livre de Michel Pastoureau retrace la longue histoire sociale, artistique et symbolique du vert dans les sociétés européennes, de la Grèce antique jusqu'à nos jours. Il souligne combien cette couleur qui a longtemps été difficile à fabriquer, et plus encore à fixer, n'est pas seulement celle de la végétation, mais aussi et surtout celle du Destin. Chimiquement instable, le vert a symboliquement été associé à tout ce qui était instable : l'enfance, l'amour, la chance, le jeu, le hasard, l'argent. Ce n'est qu'à l'époque romantique qu'il est définitivement devenu la couleur de la nature, puis celle de la santé, de l'hygiène et enfin de l'écologie. Aujourd'hui, l'Occident lui confie l'impossible mission de sauver la planète.
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Le rouge est en Occident la première couleur que l'homme a maîtrisée, aussi bien en peinture qu'en teinture. C'est probablement pourquoi elle est longtemps restée la couleur «par excellence», la plus riche du point de vue matériel, social, artistique, onirique et symbolique.
Admiré des Grecs et des Romains, le rouge est dans l'Antiquité symbole de puissance, de richesse et de majesté. Au Moyen Âge, il prend une forte dimension religieuse, évoquant aussi bien le sang du Christ que les flammes de l'enfer. Mais il est aussi, dans le monde profane, la couleur de l'amour, de la gloire et de la beauté, comme celle de l'orgueil, de la violence et de la luxure. Au XVIe siècle, les morales protestantes partent en guerre contre le rouge dans lequel elles voient une couleur indécente et immorale, liée aux vanités du monde et à la «théâtralité papiste». Dès lors, partout en Europe, dans la culture matérielle comme dans la vie quotidienne, le rouge est en recul. Ce déclin traverse toute l'époque moderne et contemporaine et va en s'accentuant au fil du temps. Toutefois, à partir de la Révolution française, le rouge prend une dimension idéologique et politique. C'est la couleur des forces progressistes ou subversives, puis des partis de gauche, rôle qu'il a conservé jusqu'à aujourd'hui.
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Longtemps, en Occident, le noir a été considéré comme une couleur à part entière, et même comme un pôle fort de tous les systèmes de la couleur. Mais son histoire change au début de l'époque moderne : l'invention de l'imprimerie, la diffusion de l'image gravée et la Réforme protestante lui donnent, comme au blanc, un statut particulier. Quelques décennies plus tard, en découvrant le spectre, Newton met sur le devant de la scène un nouvel ordre des couleurs au sein duquel il n'y a désormais plus de place ni pour le noir, ni pour le blanc : pendant presque trois siècles, ce ne seront plus des couleurs. Toutefois, dans le courant du XXe siècle, l'art d'abord, la société ensuite, la science enfin redonnent progressivement au noir son statut de couleur véritable. C'est à cette longue histoire du noir dans les sociétés européennes qu'est consacré le livre de Michel Pastoureau. L'accent est mis autant sur les pratiques sociales de la couleur (lexiques, teintures, vêtements, emblèmes) que sur ses enjeux proprement artistiques. Une attention particulière est portée à la symbolique ambivalente du noir, tantôt pris en bonne part (fertilité, humilité, dignité, autorité), tantôt en mauvaise (tristesse, deuil, péché, enfer, mort). Et comme il n'est guère possible de parler d'une couleur isolément, cette histoire culturelle du noir est aussi, partiellement, celle du blanc (avec lequel le noir n'a pas toujours fait couple), du gris, du brun, du violet et même du bleu.
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Contrairement à une idée reçue, le blanc est une couleur à part entière, au même titre que le rouge, le bleu, le vert ou le jaune. Le livre de Michel Pastoureau retrace sa longue histoire en Europe, de l'Antiquité la plus reculée jusqu'aux sociétés contemporaines. Il s'intéresse à tous ses aspects, du lexique aux symboles, en passant par la culture matérielle, les pratiques sociales, les savoirs scientifiques, les morales religieuses, la création artistique.
Avant le XVIIe siècle, jamais le blanc ne s'est vu contester son statut de véritable couleur. Bien au contraire, de l'Antiquité jusqu'au coeur du Moyen Âge, il a constitué avec le rouge et le noir une triade chromatique jouant un rôle de premier plan dans la vie quotidienne et dans le monde des représentations. De même, pendant des siècles, il n'y a jamais eu, dans quelque langue que ce soit, synonymie entre « blanc » et « incolore » : jamais blanc n'a signifié « sans couleur ». Et même, les langues européennes ont longtemps usé de plusieurs mots pour exprimer les différentes nuances du blanc. Celui-ci n'a du reste pas toujours été pensé comme un contraire du noir : dans l'Antiquité classique et tout au long du Moyen Âge, le vrai contraire du blanc était le rouge. D'où la très grande richesse symbolique du blanc, bien plus positive que négative : pureté, virginité, innocence, sagesse, paix, beauté, propreté.
Accompagné d'une abondante iconographie, cet ouvrage est le sixième d'une série consacrée à l'histoire sociale et culturelle des couleurs en Europe. -
L'histoire de la couleur bleue dans les sociétés européennes est celle d'un complet renversement : pour les Grecs et les Romains, cette couleur compte peu et est même désagréable à l'oeil ; c'est une couleur barbare. Or aujourd'hui, partout en Europe, le bleu est de très loin la couleur préférée (devant le vert et le rouge).
Michel Pastoureau raconte l'histoire de ce renversement, mettant l'accent sur les pratiques sociale de la couleur (lexiques, étoffes et vêtements, vie quotidienne, symboles) et sur sa place dans la création littéraire et artistique. Il montre d'abord le désintérêt pour le bleu dans les sociétés antiques, puis suit la montée et la valorisation progressives des tons bleus tout au long du Moyen Âge et de l'époque moderne. Enfin, il met en valeur le triomphe du bleu à l'époque contemporaine, dresse un bilan de ses emplois et significations et s'interroge sur son avenir. -
Une couleur ne vient jamais seule ; journal chromatique ; 2012-2016
Michel Pastoureau
- Seuil
- La Librairie Du Xxie Siecle
- 12 Octobre 2017
- 9782021342192
Dans son ouvrage Les Couleurs de nos souvenirs, paru en 2010 et récompensé par le prix Médicis Essai 2011, Michel Pastoureau s'était intéressé à l'histoire des rapports entre couleurs et société sur plus d'un demi-siècle (1950-2010). Poursuivant ses enquêtes, il les fait porter sur une période plus courte et nous propose aujourd'hui un regard et une réflexion sur les pratiques de la couleur de notre temps.
Fait de notes prises sur le vif, d'expériences personnelles, de propos débridés, de digressions savantes ou d'historiettes pleines d'humour, ce journal chromatique des cinq dernières années nous conduit sur les terrains les plus divers : le vocabulaire et les faits de langue, la vie quotidienne et le spectacle de la rue, le vêtement et les phénomènes de mode, l'art et la littérature, les musées, le cinéma, la publicité, les chambres d'hôtel et les terrains de sport. Tour à tour descriptif et narratif, ludique ou poétique, ce journal est à la fois celui de l'auteur et celui de nos contemporains. Il souligne combien la couleur, omniprésente dans nos sociétés où sa fonction première semble être de classer, d'associer, d'opposer, de hiérarchiser, reste néanmoins une source de plaisirs et un lieu pour rêver.