Dès son titre, l'ouvrage annonce le tournant opéré par la modernité. Benjamin montre dans cet essai lumineux et dense que l'avènement de la photographie, puis du cinéma, n'est pas l'apparition d'une simple technique nouvelle, mais qu'il bouleverse de fond en comble le statut de l'oeuvre d'art, en lui ôtant ce que Benjamin nomme son "aura". C'est désormais la reproduction qui s'expose, mettant en valeur la possibilité pour l'oeuvre d'art de se retrouver n'importe où. Capacité à circuler qui la transforme en marchandise. Benjamin met au jour les conséquences immenses de cette révolution, bien au-delà de la sphère artistique, dans tout le champ social et politique. Avec le cinéma, c'est la technique de reproduction elle-même qui désormais produit l'oeuvre d'art. Là, c'est l'image de l'acteur qui devient marchandise, consommée par le public qui constitue son marché. La massification du public de ces oeuvres a servi les totalitarismes. D'où "l'esthétisation de la politique" encouragée par le fascisme et la "politisation de l'art" défendue par le communisme.
John Cage rencontre Marcel Duchamp en 1941. Trente après, il confie dans le présent entretien les souvenirs qu'il conserve de cet homme. Et c'est un véritable hommage d'un artiste à un autre artiste et un témoignage drôle et émouvant sur celui qui «prenait le fait de s'amuser très au sérieux». Les oeuvres de ces deux artistes s'offrent l'une l'autre dans un miroir inversé : Cage explique avec une grande clarté avoir voulu développer la dimension physique de l'écoute quand Duchamp voulait réduire cette dimension dans la peinture. Cage rapporte aussi des anecdotes, et notamment la rare fois où Duchamp a perdu son sang-froid, lui d'ordinaire si magnanime : une mémorable partie d'échecs, que Cage aurait dû gagner mais qu'il a perdue, ce qui a mis Duchamp dans une colère noire...
Dans cette Petite Anatomie de l'inconscient physique ou anatomie de l'image, qui date de 1957, Bellmer s'est analysé lui-même avec une remarquable précision. On connaît peu d'artistes qui ont poussé l'introspection et l'exploration de leur inconscient à ce point de lucidité. Il commente, entre autres, les obsessions qui ont présidé à l'élaboration de la Poupée, en les confrontant notamment à l'exégèse freudienne de certains jeux de mots et à des expériences d'origine hallucinogène vécues par son ami poète Joë Bousquet.
L'ouvrage est illustré de 9 dessins érotiques de l'auteur.
En 1951, alors âgé de 50 ans, Armand Schulthess rompt brutalement avec une existence bien ordonnée pour vivre en ascète, au sud de la Suisse, dans une châtaigneraie. Loin du monde, il s'attèle à la création d'une oeuvre sans équivalent...
Suspendues aux branches et aux troncs des arbres, il dispose des centaines de plaques de métal. Sur ces assemblages, il consigne en cinq langues des bribes de savoirs touchant à des sujets infiniment variés :
Astronomie, philosophie, opéra, hiéroglyphes, problèmes de l'amour...
Schulthess compose ainsi un saisissant « jardin encyclopédique », qu'il ne cessera d'agrandir jusqu'à sa mort. Aujourd'hui, son oeuvre résonne toujours plus avec nos interrogations : exil intérieur, lien à la nature et à l'environnement... Égarez-vous dans Le Jardin de la mémoire !
Fernando Nannetti a produit l'une des oeuvres les plus singulières de l'Art brut. Interné à l'asile de Volterra en Toscane de 1959 à 1973, il en grave les murs à l'aide de la boucle de son gilet. L'oeuvre devient colossale : 70 m de long. Lucienne Peiry évoque la sophistication stylistique de ces inscriptions hors du commun. Nannetti écrit une autobiographie imaginaire et fantasmée, se crée une nouvelle identité, enfin aborde l'espace, la technologie et le surnaturel. Pour cela, il invente un alphabet et recourt à d'étonnants processus poétiques. Le présent ouvrage dévoile une oeuvre unique, fruit du désespoir et de l'enfermement, voie d'évasion face à la vie cloîtrée de l'asile. Les murs qui enserrent Nannetti deviennent son support d'expression et le lieu de la liberté créatrice.
Le terme de «monument» est ici à comprendre dans son sens élargi, soit toute oeuvre humaine qui nous vient du passé, édifice, peinture, sculpture ou parchemin. L'auteur distingue notamment sa valeur historique proprement dite de sa valeur artistique. Surtout, il est le premier à différencier sa valeur historique, voire documentaire, et sa durée, qu'il associe à notre faculté de remémoration, c'est-à-dire l'écho qu'il fait résonner en nous, au présent, par sa patine, les traces du vieillissement ou encore l'étrangeté d'un mot ou d'une tournure de phrase. Il s'agit, en un mot, de la valeur accordée au passage du temps. Ainsi maints objets deviennent des «monuments» en raison de notre goût actuel, sans qu'ils aient été initialement imaginés, à l'époque de leur conception, comme tels.
De 1899 jusqu'à sa mort, Karl Kraus (1874-1936) fut le fondateur, et parfois l'unique rédacteur, de Die Fackel (Le flambeau), revue lue par les plus grands (Musil, Wittgenstein ou encore Adorno). Les milieux intellectuels et les journalistes redoutent cette plume acerbe, admirée par Thomas Bernhard et à laquelle Walter Benjamin rend hommage dans cet essai lumineux. Kraus fut un fin limier du langage et a su faire apparaître « le journalisme comme l'expression parfaite du changement de fonction du langage dans le capitalisme avancé ». Mais Benjamin ne fait pas que commenter des idées, il dresse le portrait sans concession d'un dramaturge qui fut aussi son propre personnage : « «Shakespeare a tout prévu» ; en effet ! Il a surtout prévu Kraus lui-même. »
Daté de 1913, L'Art des bruits, «Manifeste futuriste», impressionne par son anticipation des nouvelles formes de musique : partant du principe que les sons purs ont fait leur temps, il affirme que la musique nouvelle devra tenir compte des bruits, autant sur le plan de l'harmonie que sur celui du rythme. Le premier concert de musique "bruitiste" se tient à Milan en 1914. Le présent texte en explique les caractéristiques et les enjeux. Son auteur distingue six catégories de bruits propres à notre expérience quotidienne. Mais il se défend d'une pure relation imitative avec le réel. Il s'agit de créer une émotion acoustique. Par retournement, il montre la musicalité de notre environnement sonore. Après Russolo, viendront Varèse et Prokofiev, John Cage, Erik Satie ou encore Theremin.
En s'attachant à la figure de Rembrandt, Van Dongen renoue avec sa jeunesse et la Hollande, où a germé sa vocation artistique. Dès les premières pages, sa manière de décrire ce pays, dans ses lignes et ses couleurs parfois tranchées, est celle d'un peintre, tandis que son approche du grand maître du Siècle d'Or n'obéit en rien à l'objectivité de l'historien. C'est ce qui en fait tout le sel. Ce livre au style enlevé d'un artiste sur un autre esquisse une sorte d'autoportrait en creux et hisse Rembrandt en martyr incompris, en artiste maudit. La malédiction de celui qui finit par réussir. Bohème vivant parmi « les haillonneux », coureur de jupons, Rembrandt, bientôt marié à Saskia et bourgeois, connaît une ascension fulgurante, relatée ici au pas de charge. C'est vif, brillant et exalté.
C'est sur le ton de la confidence et avec simplicité que Marcel Duchamp se livre à Pierre Cabanne. Il retrace sa vie, celle d'un artiste qui n'a voulu ni plaire ni choquer.
L'honnêteté de ses réponses n'exclut pas les pirouettes et les traits d'ironie. Après l'abandon de la peinture, l'auteur du ready-made s'intéresse au mouvement et à l'optique. Il a aussi cherché à «capturer le hasard» et à se détacher du pouvoir rétinien de l'oeuvre. Surtout, il n'hésite pas à avouer sa «paresse énorme», bien qu'il soit un touche-à-tout et un bricoleur sans égal. Ce témoignage authentique, parfois déconcertant, sur cette «vie de garçon de café» permet de pénétrer l'oeuvre mais aussi ses dessous. Car les amitiés et relations amoureuses sont loin d'être innocentes pour comprendre ce Grand Perturbateur.
Inventé entre 1813 et 1829, le daguerréotype permet de fixer des images de la chambre noire sur des plaques d'argent sensibilisées à la vapeur d'iode. Le procédé promet d'emblée une fabrication mécanisée des images, confortant une foi largement partagée à l'époque dans le progrès industriel.
Inventeur du Diorama en 1822, reconnu comme un maître du trompe-l'oeil, Daguerre n'était toutefois pas jugé sérieux aux yeux des membres de l'Académie des Beaux-Arts. Raison pour laquelle, Arago, quand il défend l'invention de Daguerre devant la Chambre des députés en juillet 1839, précise l'éventail de découvertes scientifiques dont ce procédé révolutionnaire peut être à l'origine. À la portée de tous, le daguerréotype, à michemin entre l'art et la science, incarne alors un nouvel égalitarisme.
L'art abstrait n'est pas né de l'art. Mais d'un contexte. Il émerge au moment où les conditions matérielles et psychologiques de la culture moderne connaissent une profonde mutation. Pour Schapiro, l'art abstrait n'est pas une révolte contre les mouvements artistiques précédents, mais une réaction, entre autres, aux transformations technologiques, qui métamorphosent notre rapport à la représentation. Puisant ses exemples dans différents mouvements artistiques, de l'impressionnisme aux avant-gardes historiques, Schapiro met au jour des aspirations humaines fondamentales, intimement liées à l'histoire. Cependant il montre également, par la voix des artistes, l'intimité de ce contexte avec lintériorité. L'uvre de Kandinsky est certes une lutte contre le matérialisme de la société moderne, mais provient aussi de cette "nécessité intérieure" par laquelle l'artiste, présenté comme le premier peintre abstrait, rejoint la quête expressionniste. Schapiro prend ici le contre-pied des penseurs de son époque, promoteurs du critère de la nouveauté purement artistique et du dualisme manichéen abstraction/figuration. L'art abstrait est au contraire une matière généreuse envers les autres disciplines et a permis de reconsidérer les autres arts, primitifs, les dessins d'enfants ou ceux des aliénés.
Isaku Yanaihara livre dans ce volume un témoignage exceptionnel de son expérience de modèle auprès d'un des plus grands peintres et sculpteurs du XXe siècle, Alberto Giacometti. Dès la première séance de pose, en septembre 1956, il se verra obligé de di érer son retour au Japon pour assouvir le désir du maître, soudain confronté devant ce visage énigmatique à une di culté nouvelle.
Yanaihara relate avec humour l'entêtement de l'artiste à parvenir à tout prix à dessiner son nez.
Giacometti désire une guerre, une grève d'Air France, tout plutôt qu'il parte. Tous les étés, Yanaihara reviendra à Paris poser. L'ouvrage, incluant le compte-rendu des séances mais aussi un journal et les lettres échangées entre les deux hommes, dévoile ce qui se noue entre l'artiste et son modèle.
Voici l'acte de naissance de la restauration du patrimoine. Un manifeste. L'auteur livre ici le fruit de sa riche expérience au contact des oeuvres d'art, qu'elles soient picturales, sculpturales ou architecturales. Ayant soin de respecter à la fois l'histoire et l'esthétique de l'oeuvre d'art, il préconise avant tout d'en restituer la lisibilité et ce qui, en elle, la constitue en tant qu'oeuvre.
Et il donne non seulement toute son importance à ce qu'elle fut dans son époque mais aussi à la manière dont elle a traversé l'histoire. Il suggère de conserver les traces du passage du temps, la patine, et de laisser voir, de près, l'acte de restauration lui-même.
Florenski critique ici les fondements de la perspective et, avec eux, la conception classique de l'histoire de l'art, qui voit dans la Renaissance un acmé jamais égalé. Il analyse avec une grande finesse les icônes, qui génèrent une multitude de points de vue, au diapason de la pensée qu'elles véhiculent. Dans les icônes, mais aussi dans l'art égyptien, l'art grec, l'art du Moyen Âge et même l'art des enfants, il n'y a pas de point focal. Ce point ne se situe pas dans l'image, mais dans l'oeil mobile du spectateur. Daté de 1919, cet exposé est contemporain des recherches plastiques de Malevitch. L'on tient là non seulement un texte précurseur de maintes recherches théoriques mais aussi un plaidoyer éminemment pédagogique en faveur d'un art ouvert à la vision subjective du spectateur.
Mine de propositions subversives, ce manifeste dans le plus beau style des avant-gardes fait de son titre l'étendard d'un projet d'envergure : la destruction en règle des mass media au moyen de leurs possibilités mêmes. Entre répandre de fausses nouvelles à l'aide d'enregistrements diffusés aux heures de pointe, procéder par contagion sonore - les bruits d'une émeute peuvent la stimuler dans la réalité - ou encore introduire dans le discours d'un politicien bredouillements et autres incongruités, Burroughs applique la technique du cut-up au monde sonore, arme à même de contrer cette autre arme de destruction massive, la médiatisation à outrance, moyen féroce de manipulation des consciences. Brouillons les pistes, aux sens propre et figuré. C'est piquant, stimulant et hautement explosif !
On ne connaissait pas jusqu'à présent en France les réflexions esthétiques de Günther Anders. Dans ce domaine comme dans les autres il se montre encore une fois hérétique. Son George Grosz, qui n'a rien d'un essai traditionnel d'historien de l'art est sans conteste l'étude la plus pénétrante consacrée
au peintre berlinois, célèbre pour la cruauté de ses dessins. Les historiens de l'art ont généralement méprisé l'oeuvre de Grosz à partir des années 30 et de son exil aux États-Unis. Anders montre au contraire la profonde unité de cette oeuvre marquée par un pessimisme absolu et dont il montre de façon
convaincante qu'elle est l'une des plus importantes du siècle.
Mais ce texte bref va bien au-delà : dans un style qui va droit à l'essentiel, ce sont les questions les plus fondamentales de l'art moderne qui sont ici passées au crible de la réflexion iconoclaste d'Anders : celle de la figuration, de la force politique d'une oeuvre, du rôle véritablement démiurgique du créateur.
Ces dialogues o rent un nouveau visage de Giacometti. Yanaihara y retranscrit le plus fi dèlement possible ses impressions et les paroles échangées avec le sculpteur. Échanges qui permettent de comprendre la relation qui se noue entre les deux hommes dès leur première rencontre, le 8 novembre 1955, avant le début des séances de pose. Habituellement réservé vis-àvis de ses visiteurs, Giacometti se livre volontiers à cet étudiant en philosophie japonais, qui devient vite un ami. Yanaihara est autorisé à pénétrer l'atelier et à y prendre des photographies. Quasi amoureuse, la relation se tisse sur des goûts partagés, notamment l'art mésopotamien. Giacometti parle comme à personne de son art et de celui de son époque, de Matisse ou encore de Hiroshige.
L'on connaît de Malévitch, auteur du Carré blanc sur fond blanc, son oeuvre de peintre. L'on connaît moins ses écrits, ceux d'un théoricien hors pair. Ces productions sont pourtant indissociables, comme le montre le présent volume, première édition intégrale des écrits de Malévitch, dans une traduction revue de Jean-Claude Marcadé. Ces écrits débutent en 1913 pour prendre fin en 1930. Manifestes, cours et traités éclairent le cheminement intellectuel de l'artiste et ce qui l'a conduit au suprématisme. L'auteur pose un regard subtil sur l'oeuvre de Cézanne, de Van Gogh et de Monet, et apparaît comme un éminent pédagogue. En venir à peindre un Carré blanc sur fond blanc, premier tableau achrome de l'art moderne, véritable icône au plein sens du terme, devient une évidence logique.
La commercialisation de l'art témoigne du mépris que la bourgeoisie montre à l'égard des valeurs spirituelles, tant que celles-ci ne produisent pas d'argent.
Les seuls critères et d'ailleurs les plus convaincants pour juger de nos jours de la qualité de l'art sont : le nombre d'exemplaires vendus d'un livre, les prix aux enchères, les offres des amateurs et des collectionneurs, les places remplies au théâtre et d'autres critères analogues, d'ordre quantitatif et pécuniaire. la critique cède la place à la publicité, la chronique dans les journaux se transforme en annonce commerciale ou peu s'en faut, la spéculation habile du trafiquant se substitue à l'appréciation spirituelle des valeurs artistiques.
"Nous avons lié l'art à la vie. Après un long isolement des artistes, nous avons appelé la vie à voix haute et la vie a fait irruption dans l'art, il est temps que l'art fasse irruption dans la vie." Ce volume rassemble - dans une nouvelle traduction et avec de nombreuses illustrations - les différents manifestes artistiques publiés par Larionov dans les années dix. L'ensemble témoigne de l'extraordinaire ébullition intellectuelle qui a agité la Russie à cette époque. Tous, "futuristes", "rayonnistes" ou "aveniriens" remettent en cause l'art occidental, nouveau ou ancien et appellent à "l'irruption de l'art dans la vie".