En 1685, le Code noir défendait aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons sous peine de fouet. Au XIXe siècle, en Algérie, l'État colonial interdisait les armes aux indigènes, tout en accordant aux colons le droit de s'armer. Aujourd'hui, certaines vies comptent si peu que l'on peut tirer dans le dos d'un adolescent noir au prétexte qu'il était menaçant .
Une ligne de partage oppose historiquement les corps dignes d'être défendus à ceux qui, désarmés ou rendus indéfendables, sont laissés sans défense. Ce désarmement organisé des subalternes pose directement, pour tout élan de libération, la question du recours à la violence pour sa propre défense.
Des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes, de l'insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer, Elsa Dorlin retrace une généalogie de l'autodéfense politique. Sous l'histoire officielle de la légitime défense affleurent des éthiques martiales de soi , pratiques ensevelies où le fait de se défendre en attaquant apparaît comme la condition de possibilité de sa survie comme de son devenir politique. Cette histoire de la violence éclaire la définition même de la subjectivité moderne, telle qu'elle est pensée dans et par les politiques de sécurité contemporaines, et implique une relecture critique de la philosophie politique, où Hobbes et Locke côtoient Frantz Fanon, Michel Foucault, Malcolm X, June Jordan ou Judith Butler.
Qu?est-ce que le beau ? À quoi mesure-t-on la valeur d?une oeuvre d?art ? Quel est le rôle d?un musée ? Comment se forme le goût ? Qu?est-ce qui distingue un original de sa reproduction ? La bande dessinée est-elle un art légitime ?
Dans cet essai graphique et autobiographique, Claire Le Men construit son musée imaginaire et propose aux lecteurs et lectrices de vagabonder parmi ses oeuvres favorites -; des chefs-d?oeuvre comme des productions d?artistes plus confidentiels -; pour interroger le rôle de l?art, ses fonctions et ses significations sociales.
En mêlant avec une grande virtuosité et beaucoup d?humour ses souvenirs d?enfance auprès de sa mère, historienne de l?art et personnage haut en couleur, les écrits d?auteurs tels Pierre Bourdieu, André Malraux ou Jean Renoir, des anecdotes éclairantes sur certaines oeuvres ou sur des mouvements artistiques, et ses réflexions personnelles, l?autrice livre avec Mon musée imaginaire un ouvrage passionnant qui raconte son parcours et sa relation avec sa mère tout en faisant vivre l?histoire de l?art.
Le rapport ambivalent que nous entretenons à l'égard du possible est révélateur des difficultés à transformer en profondeur la société. Exalté par le capitalisme sous la forme du potentiel, confondu avec le désirable par ceux qui lui opposent des alternatives, le « possible » n'est, pour la plupart, qu'une chimère, quand il n'est pas le paravent de la destinée. Face à la délimitation et à la préemption des possibles qu'opère tout pouvoir, nous ne pourrons rouvrir l'horizon qu'en portant un autre regard sur les possibilités latentes qu'enferme le réel.
Ni prophétie, ni programme, prévision calculée ou utopie de papier, la perspective du possible proposée dans cet ouvrage entend dénaturaliser l'avenir en prenant au sérieux les potentialités du présent. Haud Guéguen et Laurent Jeanpierre renouvellent ainsi une tradition de pensée qui, puisant dans les oeuvres de Marx et de Weber, inspire la sociologie et la théorie critique depuis leurs origines. Ils montrent sa fécondité pour cartographier les possibles avec rigueur et penser stratégiquement la question de leur actualisation.
Le dernier siècle a séparé et souvent opposé l'utopie, les sciences de la société, la critique sociale et l'émancipation, pourtant unies chez les socialistes révolutionnaires. Il s'agit de les rassembler à nouveau pour restaurer les conditions de l'espérance. Tel pourrait bien être, aujourd'hui, l'antidote à la fois savant et politique à l'impuissance de la critique et des gauches.
En décembre 2013, une production de l'artiste américain Jeff Koons, Balloon Dog (orange), a été adjugée par Christie's pour le prix record de 58,4 millions de dollars. C'est pourtant une pièce produite en cinq exemplaires, chacun de couleur différente, aujourd'hui détenus par de grands collectionneurs comme François Pinault ou Elie Broad. Tous deux ont ouvert un espace muséal, à Venise et Los Angeles, se substituant aux institutions publiques dont les moyens apparaissent désormais dérisoires. Jeff Koons est par ailleurs représenté par la puissante galerie Gagosian.
Christie's, Gagosian, Koons, Pinault : quatre acteurs centraux d'un marché dont la structure se rapproche fortement, à l'instar de la musique et du cinéma, d'un oligopole à frange, où quelques acteurs mondialisés contrôlent le marché tout en laissant la tâche à de multiples galeries - petites et moyennes - de repérer les nouveaux talents et d'assumer la prise de risque liée à la découverte.
Comment certains artistes émergent-ils et deviennent-ils des stars mondiales ? Pourquoi une photographie, une toile, une installation peuvent-elles atteindre plusieurs millions d'euros ? Cet ouvrage montre comment la valeur d'une oeuvre d'art contemporain résulte d'un jeu complexe d'interactions entre acteurs : artistes, galeries, conservateurs, commissaires d'exposition, collectionneurs, critiques. Le talent, bien sûr, mais aussi le hasard et les stratégies se mêlent pour donner naissance à des hiérarchies de valeurs, qui font in fine l'objet d'un relatif consensus.
Les musées sont devenus en une génération l'une des institutions culturelles les mieux considérées et les plus fréquentées à travers le monde. La préoccupation des publics, désormais centrale, illustre une politique de développement culturel tandis que la multiplication des collections nourrit une redéfinition des patrimoines. L'organisation des établissements, davantage professionnelle, répond à des exigences politiques et sociales, mais aussi à des contraintes éthiques et communicationnelles inédites ; en particulier, les impératifs de la médiation et de l'exposition entraînent l'apparition de nouveaux métiers. L'analyse de l'institution s'inscrit au croisement de l'anthropologie de la culture, de la sociologie du travail ou des organisations, et de l'histoire des objets.