Guy Debord (1931-1994) a suivi dans sa vie, jusqu'à la mort qu'il s'est choisie, une seule règle. Celle-là même qu'il résume dans l'Avertissement pour la troisième édition française de son livre La Société du Spectacle :
«Il faut lire ce livre en considérant qu'il a été sciemment écrit dans l'intention de nuire à la société spectaculaire. Il n'a jamais rien dit d'outrancier.»
Que fait-on quand on regarde une peinture? À quoi pense-t-on? Qu'imagine-t-on? Comment dire, comment se dire à soi-même ce que l'on voit ou devine? Et comment l'historien d'art peut-il interpréter sérieusement ce qu'il voit un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout?En six courtes fictions narratives qui se présentent comme autant d'enquêtes sur des évidences du visible, de Velazquez à Titien, de Bruegel à Tintoret, Daniel Arasse propose des aventures du regard. Un seul point commun entre les tableaux envisagés:la peinture y révèle sa puissance en nous éblouissant, en démontrant que nous ne voyons rien de ce qu'elle nous montre. On n'y voit rien! Mais ce rien, ce n'est pas rien.Écrit par un des historiens d'art les plus brillants d'aujourd'hui, ce livre adopte un ton vif, libre et drôle pour aborder le savoir sans fin que la peinture nous délivre à travers les siècles.
Le design concerne a priori l'objet et ses métamorphoses à l'ère des masses, il est autant culture de projet que produit industriel. Cet ouvrage défend l'idée que le penser, c'est l'arrimer à des configurations antérieures, le voir en situation, décrire ses tâches circonstanciées, plonger dans une expérience historique. Grandes découpes, séries, objets, figures et controverses. Entre moments célèbres et épisodes plus marginaux, Le design:Histoire, concepts, combats tente de faire imploser les définitions décontextualisées sous l'impact de l'histoire.Il suit en chacune de ses traversées la leçon d'un Mendini qui écrivait en 1974:«Nous vivons entourés de problèmes importants:massacres, récession, guerres, énergie. Et pour vivre nous nous attaquons à des petits problèmes. Nous dessinons bien et mal des serrureries et des fouets, des chiottes et des pavillons, des digues et des plans d'urbanisme pendant qu'autour de nous éclatent des bombes.» La discipline design oscille dès lors dans le trouble des dimensions, comme si «les problèmes, fussent-ils très grands, étaient en réalité très petits, et les très petits, très grands».
La consommation est devenue la morale de notre monde. Elle est en train de détruire les bases de l'être humain, c'est-à-dire l'équilibre que la pensée européenne, depuis les Grecs, a maintenu entre les racines mythologiques et le monde du logos.
L'auteur précise : « Comme la société du Moyen Âge s'équilibre sur la consommation et sur le diable, ainsi la nôtre s'équilibre sur la consommation et sur sa dénonciation. »
Avec l'enthousiasme, l'audace et l'érudition qui ont fait le succès d'On n'y voit rien, Daniel Arasse invite son lecteur à une traversée de l'histoire de la peinture sur six siècles, depuis l'invention de la perspective jusqu'à la disparition de la figure.
Évoquant de grandes problématiques - la perspective, l'Annonciation, le statut du détail, les heurs et malheurs de l'anachronisme, la restauration et les conditions de visibilité et d'exposition - mais aussi des peintres ou des tableaux précis, il fait revivre avec perspicacité et ferveur plusieurs moments clés, comme Léonard de Vinci, Michel-Ange, le maniérisme, ou encore Vermeer, Ingres, Manet. Son analyse se nourrit constamment d'exemples concrets - La Madone Sixtine de Raphaël, La Joconde, la Chambre des époux, de Mantegna, Le Verrou de Fragonard... - avant de conclure sur quelques aspects de l'art contemporain.
Le lecteur retrouvera le goût de mieux voir de grands épisodes de la peinture, grâce à une approche sensible et ouverte. Toujours il sera surpris, réveillé, entraîné dans un véritable enchantement d'intelligence et d'humour.
Ce livre est la transcription de vingt-cinq émissions proposées par l'auteur sur France Culture pendant l'été 2003.
« L'oeil et l'Esprit est le dernier écrit que Merleau-Ponty put achever de son vivant. Installé, pour deux ou trois mois, dans la campagne provençale, non loin d'Aix, au Tholonet, goûtant le plaisir de ce lieu qu'on sentait fait pour être habité, mais surtout, jouissant chaque jour du paysage qui porte à jamais l'empreinte de l'oeil de Cézanne, Merleau-Ponty réinterroge la vision, en même temps que la peinture. Il cherche, une fois de plus, les mots du commencement, des mots, par exemple, capables de nommer ce qui fait le miracle du corps humain, son inexplicable animation, sitôt noué son dialogue muet avec les autres, le monde et lui-même - et aussi la fragilité de ce miracle. » Claude Lefort.
«Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut ainsi dire. C'est à sa conquête que je vais, certain de n'y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supputer un peu les joies d'une telle possession.»Des projets et des promesses du premier Manifeste du surréalisme (1924) aux prises de position, politiques et polémiques, affirmées dans le Second Manifeste du surréalisme (1930), se dessine ici une théorie de l'expérience esthétique qui a bouleversé tous les domaines de la création au XX? siècle.
«De ce problème, vraiment primordial, posé à l'âme naïve par les phénomènes du feu, la science contemporaine s'est presque complètement détournée. Les livres de Chimie, au cours du temps, ont vu les chapitres sur le feu devenir de plus en plus courts. Et les livres modernes de Chimie sont nombreux où l'on chercherait en vain une étude sur le feu et sur la flamme. Le feu n'est plus un objet scientifique. Le feu, objet immédiat saillant, objet qui s'impose à un choix primitif en supplantant bien d'autres phénomènes, n'ouvre plus aucune perspective pour une étude scientifique. Il nous paraît alors instructif, du point de vue psychologique, de suivre l'inflation de cette valeur phénoménologique et d'étudier comment un problème, qui a opprimé la recherche scientifique durant des siècles, s'est trouvé soudain divisé ou évincé sans avoir été jamais résolu.» Gaston Bachelard.
Quels sont les pouvoirs de la couleur ? Comment agit-elle sur notre conscience profonde ? Quelle est la situation créatrice de l'homme dans notre société actuelle ?Écrit en 1910 alors que l'artiste venait de peindre son premier tableau abstrait, nourri des observations et des expériences accumulées peu à peu, ce livre compte parmi les textes théoriques essentiels qui ont changé le cours de l'art moderne.
Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserves l'impérieuse prérogative du réel. Cette faculté se trouve si souvent prise en défaut qu'il semble raisonnable d'imaginer qu'elle n'implique pas la reconnaissance d'un droit imprescriptible - celui du réel à être perçu - mais figure plutôt une sorte de tolérance, conditionnelle et provisoire. Le réel n'est généralement admis que sous certaines conditions et seulement jusqu'à un certain point : s'il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l'abri de tout spectacle indésirable. Quant au réel, s'il insiste et tient absolument à être perçu, il pourra toujours aller se faire voir ailleurs.Cet essai vise à illustrer le lien entre l'illusion et le double, à montrer que la structure fondamentale de l'illusion n'est autre que la structure paradoxale du double. Paradoxale, car la notion de double implique en elle-même un paradoxe : d'être à la fois elle-même et l'autre.
Dans un article paru en 1999 dans Le Débat, Nathalie Heinich proposait de considérer l'art contemporain comme un genre de l'art, différent de l'art moderne comme de l'art classique. Il s'agissait d'en bien marquer la spécificité - un jeu sur les frontières ontologiques de l'art - tout en accueillant la pluralité des définitions de l'art susceptibles de coexister. Quinze ans après, la «querelle de l'art contemporain» n'est pas éteinte, stimulée par l'explosion des prix, la spectacularisation des propositions et le soutien d'institutions renommées, comme l'illustrent les «installations» controversées à Versailles. Dans ce nouveau livre, l'auteur pousse le raisonnement à son terme:plus qu'un «genre» artistique, l'art contemporain fonctionne comme un nouveau paradigme, autrement dit «une structuration générale des conceptions admises à un moment du temps», un modèle inconscient qui formate le sens de la normalité. Nathalie Heinich peut dès lors scruter en sociologue les modalités de cette révolution artistique dans le fonctionnement interne du monde de l'art:critères d'acceptabilité, fabrication et circulation des oeuvres, statut des artistes, rôle des intermédiaires et des institutions... Une installation, une performance, une vidéo sont étrangères aux paradigmes classique comme moderne, faisant de l'art contemporain un objet de choix pour une investigation sociologique raisonnée, à distance aussi bien des discours de ses partisans que de ceux de ses détracteurs.
«Ces Commentaires pourront servir à écrire un jour l'histoire du spectacle ; sans doute le plus important événement qui se soit produit dans ce siècle ; et aussi celui que l'on s'est le moins aventuré à expliquer. En des circonstances différentes,je crois que j'aurais pu me considérer comme grandement satisfait de mon premier travail sur ce sujet, et laisser à d'autres le soin de regarder la suite. Mais, dans le moment où nous sommes, il m'a semblé que personne d'autre ne le ferait.»
«Qu'avaient vu, jusqu'en 1900, ceux dont les réflexions sur l'art demeurent pour nous révélatrices ou significatives, et dont nous supposons qu'ils parlent des mêmes oeuvres que nous [...] ? Deux ou trois grands musées, et les photos, gravures ou copies d'une faible partie des chefs-d'oeuvre de l'Europe. [...] Aujourd'hui, un étudiant dispose de la reproduction en couleurs de la plupart des oeuvres magistrales, découvre nombre de peintures secondaires, les arts archaïques, les sculptures indienne, chinoise, japonaise et précolombienne des hautes époques, une partie de l'art byzantin, les fresques romanes, les arts sauvages et populaires. [...] nous disposons de plus d'oeuvres significatives, pour suppléer aux défaillances de notre mémoire, que n'en pourrait contenir le plus grand musée.Car un Musée Imaginaire s'est ouvert, qui va pousser à l'extrême l'incomplète confrontation imposée par les vrais musées : répondant à l'appel de ceux-ci, les arts plastiques ont inventé leur imprimerie.»
Les couleurs existent-elles dans les choses ou n'ont-elles deréalité que dans notre regard ? Sont-elles matière ou idée ? Entretiennent-elles les unes avec les autres des rapports nécessaires ou sont-elles seulement connues de manière empirique ? Y a-t-il une logique de notre monde chromatique ? Pour répondre à ces questions, Claude Romano convoque l'optique, la physique, les neurosciences, la philosophie et la peinture.
En retraversant certaines étapes décisives de la réflexion sur ces problèmes (de Descartes à Newton, de Goethe à Wittgenstein, de Schopenhauer à Merleau-Ponty), il développe une conception réaliste qui replace le phénomène de la couleur dans le monde de la vie et le conçoit comme mettant en jeu notre rapport à l'être en totalité : perceptif, émotionnel et esthétique. L'auteur fait ainsi dialoguer la réflexion théorique et la pratique artistique. C'est parce que la couleur touche à l'être même des choses, en révèle l'épaisseur sensible, que la peinture, qui fait d'elle son élément, est une opération de dévoilement.
En dépit de la prolifération des publications dont le paysage fait l'objet depuis une quarantaine d'années, nous manquons d'un véritable traité théorique et systématique. Le livre d'Alain Roger comble ce vide.
L'auteur s'attache à exposer, dans une langue accessible au plus large public, les principales questions que soulève, aujourd'hui, la notion, si maltraitée, de «paysage». On trouvera donc ici une histoire du paysage occidental - Campagne, Montagne, Mer -, ainsi qu'une réflexion sur les débats qui divisent actuellement les spécialistes : quels sont les rapports du paysage et de l'environnement? Qu'en est-il de cette mort annoncée du paysage? Quelle politique convient-il de mener dans ce domaine?
L'ouvrage est engagé. Il dit son refus de tous les conservatismes. Il se veut aussi ludique - le paysage peut-il être érotique? - et, surtout, optimiste. L'hommage aux artistes qui, siècle après siècle, ont inventé nos paysages se double d'une confiance fervente en tous ceux qui poursuivront cette aventure esthétique, à condition que nous ne restions pas prisonniers d'une conception frileuse et patrimoniale du paysage.
Le dossier ici réuni rapproche des textes aux sujets variés, certains devenus classiques, comme L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée, d'autres plus rares ou pratiquement inconnus du public français : le premier exposé de ce qui devait devenir Paris, capitale du XIX? siècle, une étude sur les «Tableaux parisiens» de Baudelaire, telles autres sur Les Allemands de quatre-vingt-neuf, ou sur l'épopée et le roman. Tous appartiennent à la dernière période de la vie de Walter Benjamin, en exil en France de 1933 jusqu'à son suicide en 1940, quand il ne put obtenir de visa pour passer en Espagne. Il s'agit tantôt d'écrits qu'il rédigea directement en français comme les cinq fragments d'Enfance berlinoise ; tantôt des traductions auxquelles il a directement collaboré. Ces treize essais ont été choisis par les éditeurs à partir de la grande édition allemande des Oeuvres complètes, de façon à présenter, à travers un parcours chronologique, une image aussi précise que possible de la relation riche et complexe que Walter Benjamin entretient avec la langue et la littérature françaises, de Baudelaire à Proust, de Paul Valéry aux surréalistes.
L'esthétique est une fois encore à l'ordre du jour philosophique. Notre époque, pressée d'en découdre avec la fin proclamée de l'Art, tient pour évident l'objet de cette discipline. Or l'esthétique est relativement récente : la réflexion sur l'art est une histoire parallèle à celle de la rationalité. Marc Jimenez en retrace ici le développement. C'est au siècle des Lumières que l'esthétique s'autonomise, qu'elle conquiert ses lettres de noblesse, quand devient primordiale la question du Beau comme accès au sens, à la vérité. Alors s'ouvrent des voies diverses : la science du beau (Kunstwissenschaft) n'est pas la faculté de juger kantienne ni la philosophie de l'Art, entre tradition et modernité, imaginée par Hegel. D'où les grands changements de perspective opérés au XX? siècle : le tournant esthétique de la philosophie, inauguré par Nietzsche ; le tournant politique de l'esthétique (Lukàcs, Heidegger, Benjamin, Adorno notamment) ; le tournant culturel de l'esthétique (Goodman, Danto, etc.). Rarement un ouvrage aura dressé un panorama aussi exact qu'utile de l'esthétique d'hier à aujourd'hui, alors que l'art demeure, pour la philosophie, une question essentielle.
On connaît la rengaine, tant elle semble réaliste : richesse du monde, appauvrissement des existences ; triomphe du capital, liquidation des savoir-vivre ; surpuissance de la finance, «prolétarisation» et unification des modes de vie, par l'industrialisation de la camelote kitsch et des produits jetables, interchangeables, insignifiants - le capitalisme est une machine de déchéance esthétique et d'enlaidissement du monde.
Est-ce si sûr?
Le style, la beauté, la mobilisation des goûts et des sensibilités s'imposent chaque jour davantage comme des impératifs stratégiques des marques : le capitalisme d'hyperconsommation est un mode de production esthétique.
Dans les industries de consommation, le design, la mode, la publicité, la décoration, le cinéma, le show-business des produits chargés de séduction sont créés en masse. Ils véhiculent des affects et de la sensibilité, ils agencent un univers esthétique proliférant et hétérogène par l'éclectisme des styles qui s'y déploie. Partout le réel se construit comme une image en y intégrant une dimension esthétique-émotionnelle devenue centrale dans la compétition que se livrent les marques.
Tel est le capitalisme artiste, lequel se caractérise par le poids grandissant des marchés de la sensibilité, par un travail systématique de stylisation des biens et des lieux marchands, par l'intégration généralisée de l'art, du «look» et de l'affect dans l'univers consumériste. Créant un paysage économique mondial chaotique tout en stylisant l'univers du quotidien, le capitalisme est moins un ogre dévorant ses propres enfants qu'un Janus à deux visages.
Présenté dans un ordre chronologique, l'ensemble des critiques d'art d'Apollinaire permet de se former un jugement indépendant sur ses idées esthétiques, sa compétence et son rôle dans le développement de l'art moderne. En outre, ses écrits, en tant que chroniques, nous font revivre jour par jour l'époque la plus animée, la plus héroïque du XX? siècle.Les textes s'échelonnent de 1902 à 1918. On y découvre constamment un grand esprit, un grand poète et un homme de goût, ce qui n'empêche nullement le piquant, la fraîcheur et l'imprévu. La critique de Guillaume Apollinaire, en effet, était souvent subjective, impressionniste ; il n'hésitait pas à dire avec candeur : «J'aime ce tableau», ou : «Je trouve ce tableau détestable.» À l'analyse rigoureusement intellectuelle, il préférait l'impression lyrique, et «son génie de critique», comme l'a remarqué André Salmon, «était inséparable de son génie de poète».
Cet ouvrage, paru en 1983, est très vite devenu un classique contemporain, tant après lui nombre se sont engagés dans la brèche de cette première vraie critique de la modernité artistique.
Le constat demeure aujourd'hui encore lucide : depuis les années 1950 se sont multipliés aussi bien les musées d'art moderne que les écrits qui lui sont consacrés. Mais jamais on a aussi peu peint, jamais on a aussi mal peint. La pullulation d'objets hétéroclites qui ne ressortissent à l''art' que par l'artifice du lieu qui les expose et du verbe qui les commente amène à poser la question : vivons-nous le temps d'un moderne tardif, au sens où l'on parle d'un gothique tardif ?
Quelles sont les causes de ce déclin? En transposant dans le domaine des formes le propos millénariste des Révolutions, la théorie de l'avant-garde a peu à peu fait entrer la création dans la terreur de l'Histoire. De ce point de vue, le primat de l'abstraction imposé après 1945 aux pays occidentaux n'est que la figure inverse de l'art d'État que le réalisme socialiste a imposé aux pays soviétiques. Elle a entraîné une crise des modèles : inverse de celle du néo-classicisme qui rejetait la perfection de l'art dans le passé, elle a projeté dans le futur une perfection désormais inaccessible dans le temps. Elle a aussi entraîné une perte du métier : le n'importe-quoi, le presque-rien, l'informe et le monstrueux comme variétés de l'hybris moderne redonnent à la querelle de l'art comme savoir-faire ou comme vouloir-faire une singulière actualité.
La légitimité culturelle et artistique de la photographie est récente. Longtemps tenue pour un simple outil dont on se sert, elle est désormais, dans les galeries et musées, contemplée pour elle-même.Apparue avec l'essor des métropoles et de l'économie monétaire, l'industrialisation et la démocratie, elle fut d'abord l'image de la société marchande, la mieux à même de la documenter et d'actualiser ses valeurs. Mais si elle convenait à la société industrielle moderne, elle répond aujourd'hui difficilement aux besoins d'une société informationnelle, fondée sur les réseaux numériques.La photographie est donc l'objet de ce livre : dans sa pluralité et ses devenirs, du document à l'art contemporain ; dans son historicité, depuis son apparition, au milieu du XIX? siècle, jusqu'à l'alliage présent «Art-photographie» qui conduit André Rouillé à distinguer «l'art des photographes» de «la photographie des artistes».
Qu'est-ce que l'art abstrait ? On connaît, croit-on, la réponse : c'est le non-figuratif et il naît du côté de Kandinsky vers 1913.
La réalité, pourtant, est autre. D'abord, parce que le débat sur l'abstraction est antérieur à l'émergence de l'art abstrait. Nourri par les arguments pour ou contre le fauvisme, le terme, qui circule dans les acceptions les plus diverses, de Cézanne à Derain, de Matisse à Braque, de Van Gogh à Kandinsky, renvoie à d'autres domaines, où il a surgi : la philosophie, l'esthétique, les sciences physiques ou bien encore l'optique physiologique.
Étudier au plus près des oeuvres et des écrits des peintres comme de la réception critique, la migration du terme et les significations nouvelles dont il se charge, permet à Georges Roque de saisir l'art abstrait sous une lumière tout à fait autre. Dépassant les deux écoles très historiques dans leur approche (l'esthétique ou formaliste : en épurant les couleurs, les peintres ont atteint l'abstraction ; la spiritualiste ou absolutiste : en devenant visionnaires, les peintres ont atteint l'essence), il révèle l'abstraction comme une grammaire de la ligne et de la couleur, dont il nous permet de redécouvrir la fraîcheur des signes.
Controverses, polémiques, voire débats virulents opposent les défenseurs et les détracteurs de la création artistique d'aujourd'hui.S'interroger sur les normes d'évaluation et d'appréciation esthétiques qui permettent de porter un jugement sur les oeuvres d'art est une question pertinente ; elle rejoint les réactions du grand public, souvent perplexe et désorienté devant des oeuvres qu'il ne comprend pas.Que les critères artistiques des XVIII? et XIX? siècles ne soient plus valides n'a rien d'étonnant : la modernité artistique du XX? siècle s'est chargée de disqualifier les catégories esthétiques traditionnelles. La question posée par l'art depuis une trentaine d'années est celle de l'inadéquation des concepts - art, oeuvre, artiste, etc. - à des réalités qui, apparemment, ne leur correspondent plus. Or, paradoxalement, c'est sur le thème de la décadence de l'art contemporain que se centre la polémique, en France comme en Europe, depuis des années.Est-il possible de redéfinir les conditions d'exercice du jugement esthétique vis-à-vis des oeuvres contemporaines ? À supposer même que celles-ci soient «n'importe quoi», peut-on tenir sur elles un disocurs argumenté et critique ?
L'image a toujours eu barre sur les hommes, mais l'oeil occidental a une histoire et chaque époque son inconscient optique. Notre regard fut magique avant d'être artistique. Il devient à présent économique.
Il n'y a pas d'image en soi. Son statut et ses pouvoirs ont varié au gré des révolutions techniques et des croyances collectives. C'est la logique de cette évolution surprenante qu'on a voulu ici suivre à la trace, depuis les grottes ornées jusqu'à l'écran d'ordinateur. En réconciliant, par une démarche médiologique, les approches matérielle et spirituelle du monde de l'art, trop souvent exclusives.
L'ère des images n'aura-t-elle été qu'une brève parenthèse entre le temps des « idoles » et celui du « visuel » où nous sommes entrés ?
La mise au jour des codes invisibles du visible dissipe en tout cas quelques mythes tenaces, tels que « l'histoire de l'Art » ou « la Civilisation de l'image ». En entrant dans la vidéosphère, avec le saut décisif du cinéma à la télévision et bientôt avec la révolution numérique, c'est sans doute aussi à « la société du spectacle » qu'il nous faut dire adieu.