L'homme se tient sur une brèche, dans l'intervalle entre le passé révolu et l'avenir infigurable. Il ne peut s'y tenir que dans la mesure où il pense, brisant ainsi, par sa résistance aux forces du passé infini et du futur infini, le flux du temps indifférent.Chaque génération nouvelle, chaque homme nouveau doit redécouvrir laborieusement l'activité de pensée. Longtemps, pour ce faire, on put recourir à la tradition. Or nous vivons, à l'âge moderne, l'usure de la tradition, la crise de la culture.Il ne s'agit pas de renouer le fil rompu de la tradition, ni d'inventer quelque succédané ultra-moderne, mais de savoir s'exercer à penser pour se mouvoir dans la brèche.Hannah Arendt, à travers ces essais d'interprétation critique - notamment de la tradition et des concepts modernes d'histoire, d'autorité et de liberté, des rapports entre vérité et politique, de la crise de l'éducation -, entend nous aider à savoir comment penser en notre siècle.
Guy Debord (1931-1994) a suivi dans sa vie, jusqu'à la mort qu'il s'est choisie, une seule règle. Celle-là même qu'il résume dans l'Avertissement pour la troisième édition française de son livre La Société du Spectacle :
«Il faut lire ce livre en considérant qu'il a été sciemment écrit dans l'intention de nuire à la société spectaculaire. Il n'a jamais rien dit d'outrancier.»
Que fait-on quand on regarde une peinture? À quoi pense-t-on? Qu'imagine-t-on? Comment dire, comment se dire à soi-même ce que l'on voit ou devine? Et comment l'historien d'art peut-il interpréter sérieusement ce qu'il voit un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout?En six courtes fictions narratives qui se présentent comme autant d'enquêtes sur des évidences du visible, de Velazquez à Titien, de Bruegel à Tintoret, Daniel Arasse propose des aventures du regard. Un seul point commun entre les tableaux envisagés:la peinture y révèle sa puissance en nous éblouissant, en démontrant que nous ne voyons rien de ce qu'elle nous montre. On n'y voit rien! Mais ce rien, ce n'est pas rien.Écrit par un des historiens d'art les plus brillants d'aujourd'hui, ce livre adopte un ton vif, libre et drôle pour aborder le savoir sans fin que la peinture nous délivre à travers les siècles.
La consommation est devenue la morale de notre monde. Elle est en train de détruire les bases de l'être humain, c'est-à-dire l'équilibre que la pensée européenne, depuis les Grecs, a maintenu entre les racines mythologiques et le monde du logos.
L'auteur précise : « Comme la société du Moyen Âge s'équilibre sur la consommation et sur le diable, ainsi la nôtre s'équilibre sur la consommation et sur sa dénonciation. »
Avec l'enthousiasme, l'audace et l'érudition qui ont fait le succès d'On n'y voit rien, Daniel Arasse invite son lecteur à une traversée de l'histoire de la peinture sur six siècles, depuis l'invention de la perspective jusqu'à la disparition de la figure.
Évoquant de grandes problématiques - la perspective, l'Annonciation, le statut du détail, les heurs et malheurs de l'anachronisme, la restauration et les conditions de visibilité et d'exposition - mais aussi des peintres ou des tableaux précis, il fait revivre avec perspicacité et ferveur plusieurs moments clés, comme Léonard de Vinci, Michel-Ange, le maniérisme, ou encore Vermeer, Ingres, Manet. Son analyse se nourrit constamment d'exemples concrets - La Madone Sixtine de Raphaël, La Joconde, la Chambre des époux, de Mantegna, Le Verrou de Fragonard... - avant de conclure sur quelques aspects de l'art contemporain.
Le lecteur retrouvera le goût de mieux voir de grands épisodes de la peinture, grâce à une approche sensible et ouverte. Toujours il sera surpris, réveillé, entraîné dans un véritable enchantement d'intelligence et d'humour.
Ce livre est la transcription de vingt-cinq émissions proposées par l'auteur sur France Culture pendant l'été 2003.
« L'oeil et l'Esprit est le dernier écrit que Merleau-Ponty put achever de son vivant. Installé, pour deux ou trois mois, dans la campagne provençale, non loin d'Aix, au Tholonet, goûtant le plaisir de ce lieu qu'on sentait fait pour être habité, mais surtout, jouissant chaque jour du paysage qui porte à jamais l'empreinte de l'oeil de Cézanne, Merleau-Ponty réinterroge la vision, en même temps que la peinture. Il cherche, une fois de plus, les mots du commencement, des mots, par exemple, capables de nommer ce qui fait le miracle du corps humain, son inexplicable animation, sitôt noué son dialogue muet avec les autres, le monde et lui-même - et aussi la fragilité de ce miracle. » Claude Lefort.
«Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut ainsi dire. C'est à sa conquête que je vais, certain de n'y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supputer un peu les joies d'une telle possession.»Des projets et des promesses du premier Manifeste du surréalisme (1924) aux prises de position, politiques et polémiques, affirmées dans le Second Manifeste du surréalisme (1930), se dessine ici une théorie de l'expérience esthétique qui a bouleversé tous les domaines de la création au XX? siècle.
Le design concerne a priori l'objet et ses métamorphoses à l'ère des masses, il est autant culture de projet que produit industriel. Cet ouvrage défend l'idée que le penser, c'est l'arrimer à des configurations antérieures, le voir en situation, décrire ses tâches circonstanciées, plonger dans une expérience historique. Grandes découpes, séries, objets, figures et controverses. Entre moments célèbres et épisodes plus marginaux, Le design : Histoire, concepts, combats tente de faire imploser les définitions décontextualisées sous l'impact de l'histoire.Il suit en chacune de ses traversées la leçon d'un Mendini qui écrivait en 1974 : «Nous vivons entourés de problèmes importants : massacres, récession, guerres, énergie. Et pour vivre nous nous attaquons à des petits problèmes. Nous dessinons bien et mal des serrureries et des fouets, des chiottes et des pavillons, des digues et des plans d'urbanisme pendant qu'autour de nous éclatent des bombes.» La discipline design oscille dès lors dans le trouble des dimensions, comme si «les problèmes, fussent-ils très grands, étaient en réalité très petits, et les très petits, très grands».
Quels sont les pouvoirs de la couleur ? Comment agit-elle sur notre conscience profonde ? Quelle est la situation créatrice de l'homme dans notre société actuelle ?Écrit en 1910 alors que l'artiste venait de peindre son premier tableau abstrait, nourri des observations et des expériences accumulées peu à peu, ce livre compte parmi les textes théoriques essentiels qui ont changé le cours de l'art moderne.
«De ce problème, vraiment primordial, posé à l'âme naïve par les phénomènes du feu, la science contemporaine s'est presque complètement détournée. Les livres de Chimie, au cours du temps, ont vu les chapitres sur le feu devenir de plus en plus courts. Et les livres modernes de Chimie sont nombreux où l'on chercherait en vain une étude sur le feu et sur la flamme. Le feu n'est plus un objet scientifique. Le feu, objet immédiat saillant, objet qui s'impose à un choix primitif en supplantant bien d'autres phénomènes, n'ouvre plus aucune perspective pour une étude scientifique. Il nous paraît alors instructif, du point de vue psychologique, de suivre l'inflation de cette valeur phénoménologique et d'étudier comment un problème, qui a opprimé la recherche scientifique durant des siècles, s'est trouvé soudain divisé ou évincé sans avoir été jamais résolu.» Gaston Bachelard.
Rien de plus fragile que la faculté humaine d'admettre la réalité, d'accepter sans réserves l'impérieuse prérogative du réel. Cette faculté se trouve si souvent prise en défaut qu'il semble raisonnable d'imaginer qu'elle n'implique pas la reconnaissance d'un droit imprescriptible - celui du réel à être perçu - mais figure plutôt une sorte de tolérance, conditionnelle et provisoire. Le réel n'est généralement admis que sous certaines conditions et seulement jusqu'à un certain point : s'il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l'abri de tout spectacle indésirable. Quant au réel, s'il insiste et tient absolument à être perçu, il pourra toujours aller se faire voir ailleurs.Cet essai vise à illustrer le lien entre l'illusion et le double, à montrer que la structure fondamentale de l'illusion n'est autre que la structure paradoxale du double. Paradoxale, car la notion de double implique en elle-même un paradoxe : d'être à la fois elle-même et l'autre.
Dans un article paru en 1999 dans Le Débat, Nathalie Heinich proposait de considérer l'art contemporain comme un genre de l'art, différent de l'art moderne comme de l'art classique. Il s'agissait d'en bien marquer la spécificité - un jeu sur les frontières ontologiques de l'art - tout en accueillant la pluralité des définitions de l'art susceptibles de coexister. Quinze ans après, la «querelle de l'art contemporain» n'est pas éteinte, stimulée par l'explosion des prix, la spectacularisation des propositions et le soutien d'institutions renommées, comme l'illustrent les «installations» controversées à Versailles. Dans ce nouveau livre, l'auteur pousse le raisonnement à son terme:plus qu'un «genre» artistique, l'art contemporain fonctionne comme un nouveau paradigme, autrement dit «une structuration générale des conceptions admises à un moment du temps», un modèle inconscient qui formate le sens de la normalité. Nathalie Heinich peut dès lors scruter en sociologue les modalités de cette révolution artistique dans le fonctionnement interne du monde de l'art:critères d'acceptabilité, fabrication et circulation des oeuvres, statut des artistes, rôle des intermédiaires et des institutions... Une installation, une performance, une vidéo sont étrangères aux paradigmes classique comme moderne, faisant de l'art contemporain un objet de choix pour une investigation sociologique raisonnée, à distance aussi bien des discours de ses partisans que de ceux de ses détracteurs.
«Ces Commentaires pourront servir à écrire un jour l'histoire du spectacle ; sans doute le plus important événement qui se soit produit dans ce siècle ; et aussi celui que l'on s'est le moins aventuré à expliquer. En des circonstances différentes,je crois que j'aurais pu me considérer comme grandement satisfait de mon premier travail sur ce sujet, et laisser à d'autres le soin de regarder la suite. Mais, dans le moment où nous sommes, il m'a semblé que personne d'autre ne le ferait.»
John Dewey (1859-1952) est un des piliers du « pragmatisme ». Au centre de cette tradition, il y a l'enquête, c'est-à-dire la conviction qu'aucune question n'est a priori étrangère à la discussion et à la justification rationnelle.
Dewey a porté cette notion d'enquête le plus loin : à ses yeux, il n'y a pas de différence essentielle entre les questions que posent les choix éthiques, moraux ou esthétiques et celles qui ont une signification et une portée plus directement cognitives. Aussi aborde-t-il les questions morales et esthétiques dans un esprit d'expérimentation - ce qui tranche considérablement avec la manière dont la philosophie les aborde d'ordinaire, privilégiant soit la subjectivité et la vie morale, soit les conditions sociales et institutionnelles.
Dans L'art comme expérience, la préoccupation de Dewey est l'éducation de l'homme ordinaire. Il développe une vision de l'art en société démocratique, qui libère quiconque des mythes intimidants qui font obstacles à l'expérience artistique.
«Qu'avaient vu, jusqu'en 1900, ceux dont les réflexions sur l'art demeurent pour nous révélatrices ou significatives, et dont nous supposons qu'ils parlent des mêmes oeuvres que nous [...] ? Deux ou trois grands musées, et les photos, gravures ou copies d'une faible partie des chefs-d'oeuvre de l'Europe. [...] Aujourd'hui, un étudiant dispose de la reproduction en couleurs de la plupart des oeuvres magistrales, découvre nombre de peintures secondaires, les arts archaïques, les sculptures indienne, chinoise, japonaise et précolombienne des hautes époques, une partie de l'art byzantin, les fresques romanes, les arts sauvages et populaires. [...] nous disposons de plus d'oeuvres significatives, pour suppléer aux défaillances de notre mémoire, que n'en pourrait contenir le plus grand musée.Car un Musée Imaginaire s'est ouvert, qui va pousser à l'extrême l'incomplète confrontation imposée par les vrais musées : répondant à l'appel de ceux-ci, les arts plastiques ont inventé leur imprimerie.»
Publié en 1926 durant l'époque où Kandinsky est professeur au Bauhaus, Point et ligne sur plan est la suite organique de Du spirituel dans l'art. Après la théorie des couleurs, Kandinsky présente sa théorie des formes qui participe de la même rigueur et de la même volonté de constituer le langage des moyens purs de l'art qui, au-delà des apparences, va parler à l'âme humaine.Dans ce texte capital et souvent mal compris, Kandinsky pose les bases de la future science de l'art, clef pour un art abstrait authentiquement prophétique.
Ce recueil est largement inspiré, dans sa composition, de Meaning in the Visual Arts (1957) dont l'auteur avait souhaité une adaptation au public français.
«L'histoire de l'art est une discipline humaniste» définit les trois niveaux de signification d'une oeuvre et leur donne pour principe de contrôle une histoire des styles, des types et des symboles ; «L'histoire de la théorie des proportions humaines», conçue comme un miroir de l'histoire des styles, applique la méthode à l'analyse d'un schème structural particulier.
«Artiste, savant, génie» (1962) peut apparaître comme la dernière synthèse de la pensée de l'auteur sur la Renaissance. Tandis que des deux articles qui le suivent, l'un, «Le premier feuillet du Libro de Vasari», montre la façon dont cette époque, la Renaissance, a pris conscience d'un style, le gothique, qu'elle tenait pour extérieur à elle-même, l'autre, «Deux projets de façade par Beccafumi», est, sur le maniérisme dans l'architecture du XVIe siècle, une discussion sur les principes qui, aujourd'hui, permettent de caractériser un style.
Les trois derniers essais, «Dürer et l'Antiquité», «L'allégorie de la Prudence chez Titien» et la merveilleuse étude sur Poussin et la tradition élégiaque, "«Et in arcadia Ego», offrent, parvenus à leur point de perfection, les chefs-d'oeuvre de l'interprétation iconographique.
Les couleurs existent-elles dans les choses ou n'ont-elles deréalité que dans notre regard ? Sont-elles matière ou idée ? Entretiennent-elles les unes avec les autres des rapports nécessaires ou sont-elles seulement connues de manière empirique ? Y a-t-il une logique de notre monde chromatique ? Pour répondre à ces questions, Claude Romano convoque l'optique, la physique, les neurosciences, la philosophie et la peinture.
En retraversant certaines étapes décisives de la réflexion sur ces problèmes (de Descartes à Newton, de Goethe à Wittgenstein, de Schopenhauer à Merleau-Ponty), il développe une conception réaliste qui replace le phénomène de la couleur dans le monde de la vie et le conçoit comme mettant en jeu notre rapport à l'être en totalité : perceptif, émotionnel et esthétique. L'auteur fait ainsi dialoguer la réflexion théorique et la pratique artistique. C'est parce que la couleur touche à l'être même des choses, en révèle l'épaisseur sensible, que la peinture, qui fait d'elle son élément, est une opération de dévoilement.
Londres, l'hiver. Aller à la rencontre de Francis Bacon, entamer l'ultime dialogue auquel il a consenti. Pourtant il dira : «On ne peut parler de peinture. On ne peut pas.» Prévenance de géant, humilité du labeur. Or il parlera, autrement qu'attendu mais il parlera, dans le clair-obscur de l'atelier, au détour de la rue, dans la nuit des pubs, jusqu'à retourner les questions. L'enfance, les amis et les rencontres, l'art et la création, encore et toujours le travail : il ne le sait pas - nul ne peut alors le savoir - mais à quelques semaines de sa disparition, il compose le plus libre et le plus étonnant des témoignages cousu en coin de sa vie, posé en regard de son oeuvre. À travers le mythe transparaît enfin l'homme. Et Bacon, qui aura dominé la peinture dans ce siècle et par-delà, délivre sans compter ce qu'il nous faut nommer son testament.
En dépit de la prolifération des publications dont le paysage fait l'objet depuis une quarantaine d'années, nous manquons d'un véritable traité théorique et systématique. Le livre d'Alain Roger comble ce vide.
L'auteur s'attache à exposer, dans une langue accessible au plus large public, les principales questions que soulève, aujourd'hui, la notion, si maltraitée, de «paysage». On trouvera donc ici une histoire du paysage occidental - Campagne, Montagne, Mer -, ainsi qu'une réflexion sur les débats qui divisent actuellement les spécialistes : quels sont les rapports du paysage et de l'environnement? Qu'en est-il de cette mort annoncée du paysage? Quelle politique convient-il de mener dans ce domaine?
L'ouvrage est engagé. Il dit son refus de tous les conservatismes. Il se veut aussi ludique - le paysage peut-il être érotique? - et, surtout, optimiste. L'hommage aux artistes qui, siècle après siècle, ont inventé nos paysages se double d'une confiance fervente en tous ceux qui poursuivront cette aventure esthétique, à condition que nous ne restions pas prisonniers d'une conception frileuse et patrimoniale du paysage.
Le dossier ici réuni rapproche des textes aux sujets variés, certains devenus classiques, comme L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée, d'autres plus rares ou pratiquement inconnus du public français : le premier exposé de ce qui devait devenir Paris, capitale du XIX? siècle, une étude sur les «Tableaux parisiens» de Baudelaire, telles autres sur Les Allemands de quatre-vingt-neuf, ou sur l'épopée et le roman. Tous appartiennent à la dernière période de la vie de Walter Benjamin, en exil en France de 1933 jusqu'à son suicide en 1940, quand il ne put obtenir de visa pour passer en Espagne. Il s'agit tantôt d'écrits qu'il rédigea directement en français comme les cinq fragments d'Enfance berlinoise ; tantôt des traductions auxquelles il a directement collaboré. Ces treize essais ont été choisis par les éditeurs à partir de la grande édition allemande des Oeuvres complètes, de façon à présenter, à travers un parcours chronologique, une image aussi précise que possible de la relation riche et complexe que Walter Benjamin entretient avec la langue et la littérature françaises, de Baudelaire à Proust, de Paul Valéry aux surréalistes.
Première édition
On connaît la rengaine, tant elle semble réaliste : richesse du monde, appauvrissement des existences ; triomphe du capital, liquidation des savoir-vivre ; surpuissance de la finance, «prolétarisation» et unification des modes de vie, par l'industrialisation de la camelote kitsch et des produits jetables, interchangeables, insignifiants - le capitalisme est une machine de déchéance esthétique et d'enlaidissement du monde.
Est-ce si sûr?
Le style, la beauté, la mobilisation des goûts et des sensibilités s'imposent chaque jour davantage comme des impératifs stratégiques des marques : le capitalisme d'hyperconsommation est un mode de production esthétique.
Dans les industries de consommation, le design, la mode, la publicité, la décoration, le cinéma, le show-business des produits chargés de séduction sont créés en masse. Ils véhiculent des affects et de la sensibilité, ils agencent un univers esthétique proliférant et hétérogène par l'éclectisme des styles qui s'y déploie. Partout le réel se construit comme une image en y intégrant une dimension esthétique-émotionnelle devenue centrale dans la compétition que se livrent les marques.
Tel est le capitalisme artiste, lequel se caractérise par le poids grandissant des marchés de la sensibilité, par un travail systématique de stylisation des biens et des lieux marchands, par l'intégration généralisée de l'art, du «look» et de l'affect dans l'univers consumériste. Créant un paysage économique mondial chaotique tout en stylisant l'univers du quotidien, le capitalisme est moins un ogre dévorant ses propres enfants qu'un Janus à deux visages.
De quand date la peinture moderne ?
De David, de Manet, de Cézanne, dira-t-on ; les candidats à l'acte fondateur ne manquent pas. Michael Fried pose autrement le problème. Moins qu'aux grandes individualités, c'est à ce qu'elles eurent en commun que l'auteur s'intéresse : le courant nouveau de figuration qui très vite devint la tradition moderne et auquel ces peintres participèrent ou s'opposèrent.
Cette tradition naît au XVIIIe siècle avec la critique d'art - notamment Diderot - et celle-ci formule une interrogation : quelle place le tableau doit-il réserver au spectateur ?
De Greuze à David, la peinture refuse la théâtralité. Michael Fried montre les deux moyens que Diderot expose pour combattre la fausseté de la représentation et la théâtralité de la figuration : une conception dramatique de la peinture , qui recourt à tous les procédés possibles pour fermer le tableau à la présence du spectateur, et une conception pastorale qui à l'inverse, absorbe quasi littéralement le spectateur dans le tableau en l'y faisant pénétrer. Ces deux conceptions se conjuguent pour nier la présence du spectateur devant le tableau et mettre cette négation au principe de la représentation.