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MARGUERITE WAKNINE
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Se pourrait-il que ces dessins constituent un empire de signes ? De signes ayant abandonné tout référent (ce qui se présente là comme chaise ou nez, par exemple, se trouvant aussitôt écartés de ce qu'ils représentent) ; de signes étant à ce point congédiés de que qu'ils peuvent bien signifier qu'ils n'en sont plus que des signifiants à peu près vides. À cet égard, quel autre titre que ce fjghj pouvait ici convenir ? Un signifiant absolument imprononçable et se refusant à dévoiler, avec obstination, qu'il ne recèle rien. En ce sens il nous faudrait aussi renoncer pour de bon à rechercher dans ces dessins la forme d'une narration, aussi bien dans leur succession qu'à l'intérieur de chacun d'eux, en sorte que ces dessins seraient peut-être à regarder comme une suite d'aphorismes d'une cocasserie troublante, à la manière d'un Lichtenberg, quand celui-ci conçoit, par exemple, un couteau sans lame auquel manque le manche. Toutefois, en aucune manière, il ne saurait être question d'une sorte de sabotage, même de détournement, mais plutôt d'une prouesse esthétique bien plus concise que simple, bien plus soucieuse et pénétrante qu'originale, celle d'un art qui consiste à forcer le trait (le trait noir, épais, de Guillaume Chauchat, qui se présente aussi comme trait d'esprit) seule trace à se suffire et nous faire signe.
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Agnès ; peau d'âme
Catherine Pozzi
- Éditions Marguerite Waknine
- Les Cahiers De Curiosites
- 20 Octobre 2023
- 9782493282286
Le Grand Siècle fut, dit-on, friand de ces cabinets de curiosités dans lesquels se trouvaient collectés pêle-mêle des objets exotiques, pittoresques et bizarres. Les cahiers de curiosités, collection littéraire des éditions Marguerite Waknine, se proposent de retrouver pareil esprit, en rassemblant des textes anciens, modernes et contemporains, présentant un tel caractère unique, insolite et rare. Autrement dit, s'écarter de l'actuel, des formats de l'actualité, de l'aplanissement des voix, de l'ablation du singulier, pour renouer, admirablement et délicieusement, avec le bon et beau désordre de la richesse du monde, avec la belle et bonne diversité des corps et des esprits.
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Cet ensemble de 50 dessins a été réalisé entre août 2019 et juin 2020. Réinterprétations graphiques frôlant l'abstraction, ces dessins à l'encre de Chine noire prennent pour support de recouvrement deux chapelets de cartes postales touristiques du massif vosgien (les Hautes-Vosges et le Hohneck, circa 1920) et un ensemble de photographies de la Cordillère des Andes et des Alpes, issu de récits d'expéditions en montagne (circa 1950).
Alt. pourra être lu comme l'abréviation du mot "altitude" ou comme une référence à la touche "alt" , la touche alternative des claviers d'ordinateur. Jochen Gerner
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Petits plaisirs
Isabelle Boinot
- MARGUERITE WAKNINE
- Le Cabinet De Dessins
- 16 Avril 2021
- 9791094565865
Nous ne sommes peut-être pas très loin des Menus Plaisirs, de ces divertissements royaux, qui conjuguaient jeux, fêtes et spectacles. Se produisent effectivement ici spectacles et mises en scène, et ces menus plaisirs déclinés ou plutôt détournés en petits ne peuvent que relever d'un esprit frondeur et d'un regard mutin. Que peut-il y avoir de plus spirituel et de plus badin que cet éventail d'exercices corporels ? Torsions, impulsions, génuflexions, étirements, poussées, une gymnastique dont l'étymologie rappelle qu'elle est une une pratique qui s'effectue le corps nu.
Etymologie parfaitement respectée par cette désopilante suite de dessins, lorsqu'elle nous contraint d'accepter qu'il n'est nullement besoin de représenter les êtres nus pour les mettre à nu
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Cet ensemble est l'oeuvre d'une savante élaboration, sachant que ses étapes, du point de vue technique, sont le scanner, la photocopie, le transfert, l'impression. Une fois sur le papier ou le tissu, ces dessins sont alors rehaussés au pastel, au crayon de couleur, au fard, au maquillage, et parés pour certains de bijoux ou de plumes. Et voilà qui nous offre cette étonnante épiphanie : cette troublante cohorte d'oiseaux qui se présentent à nous de manière quasi immatérielle, dans ce qu'ils ont justement de plus volatile, de plus léger, de plus fantomatique. Et malgré tout, malgré ces manières qu'ils ont de s'éloigner, se retirer, s'éteindre, ils semblent nous être proches, très proches, comme nos prochains. Mais comme le sont sans doute aussi nos reflets dans les miroirs, ou nos façons de disparaître et de voir la fumée que laisse après nous la vanité de nos postures. Ainsi passe la gloire du monde.
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Paysages irrevocables
Emmanuelle Pidoux
- MARGUERITE WAKNINE
- Le Cabinet De Dessins
- 21 Avril 2023
- 9782493282224
Est dit irrévocable ce qui se trouve engagé définitivement, sans retour pos- sible, comme on appelle en vain ce qui a fui, comme on se lance éperdument à la recherche d'un temps perdu. Aussi, à bien y regarder, n'existe-t-il ici ni revenants ni fantômes, ni seconde chance ni nostalgie. Quelque chose, comme un fatum, règne en maître sur tous ces paysages. Comme si la tragé- die avait eu l'occasion de pleinement s'accomplir. En eux, pas l'ombre d'une perte qui puisse être pleurée, tandis qu'ils se présentent tour à tour comme des absences, des vides, dont nul ne pourrait être le témoin. En ce sens, rien de plus silencieux que ces dessins qui se répètent pour n'être qu'eux-mêmes, comme s'ils n'étaient jamais des manques dont on pourrait avoir l'audace de dire qu'ils sont irréparables. Ces dessins sont-ils même des instants ? Mais quels instants pourraient ainsi se perpétrer hors des heures, des années et des siècles ? Ce qui ne peut faire l'objet que d'un appel, unique (comme l'en- fance, l'amour ou la mort, par exemple) inviterait donc à l'expérience de ce silence qui est le nôtre, dont nous serions comme les images, balbutiements de l'éphémère, irrévocablement.
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Le présent ouvrage est une galerie de portraits ou plutôt d'êtres
tatoués vivants ou morts, réels ou imaginaires. Chacun d'entre eux nous conte à la fois une histoire personnelle, intime, et l'époque et la société dans lesquelles ils s'incarnent. L'inscription du dessin sur la peau est loin d'être neutre, elle demeure même, et de manière indélébile, une façon de se dire, où se jouent, s'écrivent et se réalisent des vies et des sens à ces vies. L'ouvrage d'Aurélien Vallade s'inscrit de bout en bout dans cette perspective, avec cette élégance qu'on reconnait à ces albums que l'on parcourt de découverte en découverte. -
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Feuille après feuille, nous les découvrons et la question grandit. Ces êtres évanescents sont-ils en train d'apparaître ou de disparaître ? De s'évanouir, s'évaporer, se volatiliser, ou s'épaissir, se fortifier, durcir et prendre ? Ils sont vivants, incontestablement. Sur ce point, la chaleur de leurs couleurs et le ryhtme de leurs animations sont formels. Pourtant, ils nous semblent hésitants, comme ballotés dans un flux et reflux continuels, occuper une sorte d'entre-deux, un point précis où d'un côté ils peuvent se diriger vers la liquéfaction, la dilution, la dissolution, et de l'autre vers l'affermissement, la consolidation et l'affirmation d'une épaisseur, d'un poids. Comme si ces êtres se tenaient là, en ce moment de suspension, entre systole et diastole : entre cette contraction du coeur grâce à laquelle le sang est envoyé vers les artères et le relâchement de ce même coeur au cours duquel celui-ci se remplit du sang qui lui revient.
Point d'équilibre où le vivant persiste dans son être, se vide et se remplit, se donne à voir pour s'évanouir, et s'évanouit pour se donner à voir.
Ah oui ! une dernière chose. Qu'on se le dise : Doki doki est une onomatopée japonaise qu'on utilise pour exprimer le son du coeur qui bat.
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L'étymologie n'est jamais une folle du logis. De son origine (phantazo) phantasma a conservé l'idée de rendre visible, d'exposer à la vue, de montrer, d'où ces notions d'apparition, de spectre ou de fantôme. On trouve également dans le Nouveau Testament une occurence de phantazo traduit cette fois par le mot spectacle. Et si terrifiant était ce spectacle que Moïse dit :
Je suis épouvanté et tremblant (Épitre aux Hébreux, 12.24). À cet égard toutes les apparitions qui prennent ici corps, en adoptant contours, figures, couleurs, composent un spectacle tout aussi captivant que déroutant, au point que le spectacle en arrive à devenir une histoire, comme s'il pouvait exister des narrations à dessiner, des narrations de l'apparition même, dont les compositions de Chloé Poizat écriraient quelques lignes. Une histoire des formes, des modes et des matières de l'apparaître, non pas comme de simples surfaces qui ne seraient qu'apparences ou reflets, mais comme des images d'êtres débouchant de leurs plus anciennes origines, de leurs plus lointaines profondeurs.
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Comme les voies du Seigneur qui nous demeurent impénétrables, celles de la création peuvent l'être aussi parfois. Ainsi de Rebecka Tollens, née à Stockolm, en 1990, que rien ne destinait somme toute à la création artistique. En e?et, se destinant en premier lieu au droit international, et après une mission humanitaire au Ghana et un long voyage en Amérique du Sud, Rebecka Tollens entame une profonde conversion et se lance à Paris dans des études d'illustratrice pour entamer bientôt un parcours artistique personnel et des plus prometteurs, notamment remarqué, en 2015, avec l'exposition Viens ! à la galerie Arts Factory.
Lorsqu'on l'interroge sur sa pratique, Rebecka Tollens peut répondre : Mes dessins, comme mes rêves, vien- nent donc de moi tout en étant également d'ailleurs. Les mots semblent lâchés : ailleurs et rêves.
Les dessins de Rebecka Tollens ont le poids, le nombre et la texture du rêve, en e?et. Il ne s'agit pourtant en aucune manière d'une interprétation de rêves (au sens freudien de Traumdeutung), mais bien d'une expérience de rêves, d'un espace occupé, travaillé, dessiné, qui permet l'incarnation de scènes de rêves dès lors que Rebecka Tollens les accompagne et les capture et disparaît dans cette capture pour leur laisser la place. Toutefois, malgré leurs caractères étonnants et presque angoissants, ces rêves ne tournent jamais aux cauchemars. Ils peuvent en posséder, c'est vrai, certaines tournures, certains accents, quelques colorations, sans cependant cesser d'être des désirs réalisés de rêves, des désirs accomplis. Ainsi, ces réalisations dessinées à la mine de plomb, en noir et blanc, laissent-ils comme remonter, à la surface, au jour (très gris), des atmosphères étranges : des extérieurs chargés d'une luminosité blafarde, livide, presque gelée (qui sont peut-être comme des rappels de la Scandinavie natale), des paysages frisant l'inquiétante étrangeté, des intérieurs où des scènes douloureuses semblent se jouer sous nos regards plus qu'impuissants.
En somme, une énergie tout onirique qui fait de chaque dessin un théâtre qui devient de manière singulière à la fois parfaitement silencieux et bruyant. Tendons l'oreille et ce n'est que silence ; puis bouchons-la et le vacarme et la torture se font entendre dans le lointain, dans ces là-bas ou ces ailleurs qui ne sont pas sans rappeler les limbes, ces territoires à peu près insituables, ces états incertains ou ces régions mal dé$nies, où toutes ces ribambelles d'enfants qui envahissent les dessins de Rebecka Tollens semblent pencher sans $n entre mort et vie.
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Fuguer n'est pas une mince affaire. Il peut s'agir de fuir son domicile ou d'entreprendre une escapade sans conséquence. La fugue est également, bien sûr, une écriture musicale. Singulièrement, la suite des dessins de Marie Mirgaine apporte sa pierre à l'édifice que constitue cette longue et savante histoire de la fugue.
Comme en musique, effectivement, les créations de Marie Mirgaine ont la rigueur d'une suite d'imitations ouvrant la voie à l'alternance d'un thème qui s'enchaîne à travers la reprise (comme on le dit d'un canon pour le chant) : reprise et répétition de couleurs, de formes et d'impulsions articulées les unes aux autres. Ainsi se consitutent des dynamiques, des trajectoires où chaque nouveau mouvement des personnages en fuite (en fugue) reprend certains aspects des précédents pour obtenir pleinement l'accomplissement de ses propres énergies. Il y a même là une sorte d'ardeur, on pourrait dire, ce qui ne saurait nous étonner, si l'on songe un instant à la racine de ce mot fugue, de l'italien fuga, dont l'une des variantes :
Foga, a produit le mot fougue. Et plus encore : la fugue fait également écho aux notions de jointures et d'ajustements, agencement ou combinatoire de parties, le propre même, à bien y regarder, des compositions dessinées de Marie Mirgaine dont la technique, comme elle l'explique elle-même, est d'ajuster, d'organiser, en les superposant les uns aux autres, des morceaux de papier de toutes espèces. À n'en pas douter, il s'agit donc ici d'un art (cet ars, cette habilité, cette technique) dont la signification repose en son fond sur les notions d'assemblage et d'organisation. D'un art dont l'objet, peut-être, serait d'échapper par la fugue (la fuite vers nulle part) à l'immobilité, au poids cadavérique de la mort même, pour mieux lancer un hymne à l'impulsion, à la poussée de la vie, dont le rythme relèverait à la fois de la pulsion d'un choeur et du battement du coeur.
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Cahier de Mirka Lugosi
Mïrka Lugosi
- MARGUERITE WAKNINE
- Le Cabinet De Dessins
- 19 Avril 2019
- 9791094565490
Une érotique, certes ! Un fétichisme aussi. Et nous pourrions même ajouter un grand accent surréaliste. Cependant, l'univers de Mïrka Lugosi semble toujours et déjà bien ailleurs, même s'il s'inscrit de fait dans une histoire. À cet égard, deux citations. La première, Pierre Jean Jouve : Nous avons connaissance à présent de milliers de mondes à l'intérieur du monde de l'homme, que toute l'oeuvre de l'homme avait été de cacher... La seconde, Georges Bataille : Ce qui est en jeu dans l'érotisme est toujours une dissolution des formes constituées. Ces deux vues en appellent à l'idée d'une sorte de nuit profonde, voire menaçante, doublée d'une sorte de déréglement plus ou moins périlleux. À rebours, le cahier de Mïrka Lugosi semble échapper à ces coupures entre un dehors et un dedans, un monde diurne et un autre nocturne, entre une continuité et sa rupture. En effet, ce cahier se présente au premier abord comme studieux. On pourrait là penser à ces études de mains (genre Dürer, par exemple) où se trouvent répétées et reprises sur une feuille des mains tournées et retournées, quand Mïrka Lugosi étudie, elle, les tensions des verges, les galbes des jambes, la courbe ou le plein des seins, la plastique des corps. Il s'agirait en quelque sorte de donner à voir un toucher, un grain, une vision, une cambrure, une position.
Et plus encore : la tension même de cette cambrure, le fantasque même de cette position.
C'est pour quoi ce cahier ne dévoile pas un monde qui serait caché, parce que le monde de ce cahier échappe aux dispositions qui voudraient séparer l'apaisement et le trouble, le vil et le noble, alors qu'il n'y a pas ici (regardons bien !) plus habillé qu'un nu ou même plus nu qu'un habillé. Un cahier à l'onirisme déboussolé en ce que la suite de toutes ses scènes ne stagnent pas dans le crépusculaire du rêve, parce qu'elle accéde à la lucidité du plein éveil élaboré délicatement et patiemment à la pointe du crayon. Un cahier raffiné, subtil, élégant, diablement délicat et complexe, qui se voudrait comme une histoire de l'oeil, ou comme l'histoire d'un oeil, celui de Mïrka Lugosi, où le visible semble toujours précisément ce qui ne peut être que vu.
Un cahier fondamentalement excentrique, tout compte fait (c'est-à-dire hors du centre, hors d'un centre qui n'aurait nul lieu d'être), et véritablement et magnifiquement obscène (c'est-àdire hors de scène, hors de toute représentation). Comme si les dessins de Mïrka Lugosi ne représentaient rien, jamais, mais présentaient toujours, encore, tellement, et ne tenaient leur être que de ces seules présences.