Dans un article paru en 1999 dans Le Débat, Nathalie Heinich proposait de considérer l'art contemporain comme un genre de l'art, différent de l'art moderne comme de l'art classique. Il s'agissait d'en bien marquer la spécificité - un jeu sur les frontières ontologiques de l'art - tout en accueillant la pluralité des définitions de l'art susceptibles de coexister. Quinze ans après, la «querelle de l'art contemporain» n'est pas éteinte, stimulée par l'explosion des prix, la spectacularisation des propositions et le soutien d'institutions renommées, comme l'illustrent les «installations» controversées à Versailles. Dans ce nouveau livre, l'auteur pousse le raisonnement à son terme:plus qu'un «genre» artistique, l'art contemporain fonctionne comme un nouveau paradigme, autrement dit «une structuration générale des conceptions admises à un moment du temps», un modèle inconscient qui formate le sens de la normalité. Nathalie Heinich peut dès lors scruter en sociologue les modalités de cette révolution artistique dans le fonctionnement interne du monde de l'art:critères d'acceptabilité, fabrication et circulation des oeuvres, statut des artistes, rôle des intermédiaires et des institutions... Une installation, une performance, une vidéo sont étrangères aux paradigmes classique comme moderne, faisant de l'art contemporain un objet de choix pour une investigation sociologique raisonnée, à distance aussi bien des discours de ses partisans que de ceux de ses détracteurs.
Attribuer de la valeur aux personnes est une activité familière, sur laquelle on ne s'interroge pas. Elle obéit pourtant à des règles implicites. Ce livre applique à ces règles le modèle d'analyse proposé dans Des valeurs, une approche sociologique (2017). Il fait apparaître tout d'abord une large gamme de "preuves de qualité", du statut au talent en passant par l'apparence physique ou les actes ; ensuite, le rôle décisif des "épreuves d'évaluation" comme les examens, concours, prestations publiques ; enfin "l'épreuve de la grandeur" qui fabrique dans les représentations des hiérarchies, donc des inégalités.
Cette question des inégalités est particulièrement sensible aujourd'hui. Elle est abordée ici en toute neutralité, dans le seul but d'analyser, de décrire, de comprendre, selon la méthode pragmatique et compréhensive mise en oeuvre par l'auteur.
« À cumuler la posture du chercheur qui étudie les phénomènes avec celle de l'acteur qui tente d'agir sur eux, on ne fait que de la recherche au rabais et de la politique de campus. »
Nathalie Heinich
Nous pensions en avoir presque fini avec la contamination de la recherche par le militantisme. Mais le monde académique que nous dessinent les nouveaux chantres de l'identitarisme communautariste n'a rien à envier à celui que s'étaient jadis annexé les grandes idéologies. Nos « universitaires engagés », trouvant sans doute que voter, manifester, militer dans une association ou un parti ne sont pas assez chics pour eux, tentent de reconquérir les amphithéâtres et leurs annexes. Obnubilés par le genre, la race et les discours de domination, ils appauvrissent l'Université de la variété de ses ressources conceptuelles.
Qu'il soit la source ou l'écho de cette nouvelle dérive, décrite ici dans toutes ses aberrations, le monde social que ces chercheurs-militants s'attachent à bâtir s'avère à bien des égards invivable, habité par la hargne et le désir insatiable de revanche.