Dans un article paru dans Le Débat, Nathalie Heinich proposait de considérer l'art contemporain comme un genre de l'art, différent de l'art moderne comme de l'art classique. Il s'agissait d'en bien marquer la spécificité tout en accueillant la pluralité des définitions de l'art susceptibles de coexister.
Plus de vingt ans après, la "querelle de l'art contemporain" n'est pas éteinte, stimulée par l'explosion des prix, la spectacularisation des propositions et le soutien d'institutions renommées à des installations controversées.
C'est que, plus qu'un "genre" artistique, l'art contemporain fonctionne comme un nouveau paradigme, autrement dit "une structuration générale des conceptions admises à un moment du temps", un modèle inconscient qui formate le sens de la normalité.
En passant de l'art moderne à l'art contemporain, on change toutes les règles : la façon de faire de l'art, de le voir, de le penser, mais aussi la façon de le présenter et in fine de le vendre.
Attribuer de la valeur aux personnes est une activité familière, sur laquelle on ne s'interroge pas. Elle obéit pourtant à des règles implicites. Ce livre applique à ces règles le modèle d'analyse proposé dans Des valeurs, une approche sociologique (2017). Il fait apparaître tout d'abord une large gamme de "preuves de qualité", du statut au talent en passant par l'apparence physique ou les actes ; ensuite, le rôle décisif des "épreuves d'évaluation" comme les examens, concours, prestations publiques ; enfin "l'épreuve de la grandeur" qui fabrique dans les représentations des hiérarchies, donc des inégalités.
Cette question des inégalités est particulièrement sensible aujourd'hui. Elle est abordée ici en toute neutralité, dans le seul but d'analyser, de décrire, de comprendre, selon la méthode pragmatique et compréhensive mise en oeuvre par l'auteur.
« À cumuler la posture du chercheur qui étudie les phénomènes avec celle de l'acteur qui tente d'agir sur eux, on ne fait que de la recherche au rabais et de la politique de campus. »
Nathalie Heinich
Nous pensions en avoir presque fini avec la contamination de la recherche par le militantisme. Mais le monde académique que nous dessinent les nouveaux chantres de l'identitarisme communautariste n'a rien à envier à celui que s'étaient jadis annexé les grandes idéologies. Nos « universitaires engagés », trouvant sans doute que voter, manifester, militer dans une association ou un parti ne sont pas assez chics pour eux, tentent de reconquérir les amphithéâtres et leurs annexes. Obnubilés par le genre, la race et les discours de domination, ils appauvrissent l'Université de la variété de ses ressources conceptuelles.
Qu'il soit la source ou l'écho de cette nouvelle dérive, décrite ici dans toutes ses aberrations, le monde social que ces chercheurs-militants s'attachent à bâtir s'avère à bien des égards invivable, habité par la hargne et le désir insatiable de revanche.
Une génération après que la Révolution eut supprimé les privilèges aristocratiques, une nouvelle élite apparut dans la société française : les "artistes", dont le prestige était devenu tel qu'il leur permettait de s'égaler aux plus grands, malgré l'absence de naissance, de fortune, de pouvoir. En même temps s'imposait l'idée qu'ils formaient une seule catégorie mêlant, tous genres confondus, écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens. Et l'identité collective de cette catégorie inédite se définissait, avec la "bohème", par l'excentricité du hors normes : une élite en marge, donc.
Cette situation paradoxale s'explique en partie par le statut institutionnel, économique, démographique, juridique, sémantique des activités artistiques, que reconstitue minutieusement Nathalie Heinich. Mais elle tient aussi à des facteurs de plus longue durée : les valeurs de sens commun, que révèle l'exploration des romans, des témoignages, des journaux, des correspondances. Car on ne comprendrait pas que cet étrange phénomène ait pu perdurer, s'imposant aujourd'hui plus que jamais, sans prendre en compte ces valeurs fondamentales que sont l'aspiration à l'égalité et la reconnaissance de l'excellence, la préséance du mérite et le droit au privilège.
La singularité artiste offrirait-elle à notre société contemporaine, écartelée entre aristocratisme, égalitarisme et méritocratie, une solution de compromis à un élitisme acceptable par la démocratie ?
"Valeurs" : jamais ce terme n'a été aussi fréquemment invoqué, alors même qu'il est peu ou mal défini. Plutôt que de contourner ou de disqualifier la question, Nathalie Heinich l'aborde avec sérieux, au moyen des outils des sciences sociales, en adoptant une approche descriptive, compréhensive et résolument neutre. Elle montre ainsi que les valeurs ne sont ni des réalités ni des illusions, mais des représentations collectives cohérentes et agissantes.
Contrairement à la philosophie morale, qui prétend dire ce que seraient de "vraies" valeurs, la "sociologie axiologique" s'attache à ce que sont les valeurs pour les acteurs : comment ils évaluent, opinent, pétitionnent, expertisent ; comment ils attribuent de "la" valeur, en un premier sens, par le prix, le jugement ou l'attachement ; comment les différents objets valorisés (choses, personnes, actions, états du monde) deviennent des "valeurs" en un deuxième sens (la paix, le travail, la famille) ; et comment ces processus d'attribution de valeur reposent sur des "valeurs" en un troisième sens, c'est-à-dire des principes largement partagés (la vérité, la bonté, la beauté), mais diversement mis en oeuvre en fonction des sujets qui évaluent, des objets évalués et des contextes de l'évaluation. L'analyse pragmatique des jugements produits en situation réelle de controverse, de différend impossible à clore, tels les débats sur la corrida, permet à l'auteur de mettre en évidence la culture des valeurs que partagent les membres d'une même société. On découvre ainsi que, contrairement à quelques idées reçues, l'opinion n'est pas réductible à l'opinion publique, pas plus que la valeur ne l'est au prix, ni les valeurs à la morale ; que les valeurs ne sont ni de droite ni de gauche ; et qu'elles ne sont ni des entités métaphysiques existant "en soi", ni des constructions arbitraires ou des dissimulations d'intérêts cachés.
L'identité n'est ni une notion molle, signifiant tout et n'importe quoi, ni, à l'opposé, une réalité substantielle qu'il suffirait d'observer. S'appuyant sur la compilation de nombreux travaux produits dans différents domaines (anthropologie, sociologie, psychologie sociale, psychanalyse, histoire), cet ouvrage de synthèse montre qu'il s'agit d'une expérience à la fois importante et dûment structurée, ainsi que d'une notion parfaitement utilisable. Mais il faut pour cela s'abstenir de réduire la question de l'identité à un camp politique, ou à la seule dimension de l'identité nationale, ou encore à une conception essentialiste et unidimensionnelle : ce pour quoi la meilleure façon de comprendre l'identité est d'en passer par ce qu'elle n'est pas. Au terme d'une telle analyse, la notion d'identité apparaît comme non seulement compréhensible mais utile, en tant qu'elle permet de mettre en évidence les conditions d'une cohérence de soi dans les différents régimes d'existence, du plus individuel au plus collectif.
Sociologue de l'art, auteur d'une trentaine d'ouvrages et d'un grand nombre d'articles dans des revues de sciences sociales françaises et étrangères, traduite dans le monde entier, Nathalie Heinich revient dans cet entretien sur son parcours atypique : des études de philosophie en province au séminaire de Pierre Bourdieu à Paris, des années noires de l'« intello précaire » au CNRS et à l'École des hautes études en sciences sociales, de l'après-68 à l'entrée dans le XXIe siècle, elle raconte concrètement comment se fait une carrière de chercheur, comment émergent les thèmes de recherche, comment se fabriquent les enquêtes, comment s'écrivent et se publient les articles et les livres, à quelles lectures parfois inattendues ils donnent lieu. Elle propose surtout une remarquable introduction à la so-ciologie de l'art.Cet ouvrage constitue la version remaniée et actualisée de celui paru sous le même titre aux éditions « Aux lieux d'être », en 2006 (premier volume) et 2007 (second volume), et qui était depuis longtemps introuvable.Nathalie Heinich, née en 1955, est sociologue au CNRS. Elle a publié de nombreux ouvrages et articles portant sur le statut d'artiste et la notion d'auteur (La Gloire de Van Gogh, Du peintre à l'artiste, Être écrivain, L'Élite artiste), sur l'art contemporain (Le Triple jeu de l'art contemporain, Le Paradigme de l'art contemporain), sur l'identité féminine (États de femme, Mères-filles, Les Ambivalences de l'émancipation féminine), sur les valeurs (L'Épreuve de la grandeur, La Fabrique du patrimoine, De la visibilité), ainsi que sur l'histoire des sciences sociales (La Sociologie de Norbert Elias, La Sociologie de l'art, Pourquoi Bourdieu, Le Bêtisier du sociologue). Ses livres ont fait l'objet d'une quarantaine de traductions en quinze langues.
Sociologue hors normes, Norbert Elias, né en Allemagne en 1897, mort aux Pays-Bas en 1990, est considéré comme l'un des plus grands représentants de sa discipline, à l'égal de Weber, Durkheim ou, plus tard, Bourdieu. Ayant dû fuir l'Allemagne nazie pour la France puis la Grande-Bretagne, il a attendu l'âge de la retraite pour voir son œuvre enfin publiée et reconnue. Introduite tardivement en France dans les années 1970, elle commence seulement à bénéficier de la reconnaissance internationale et pluridisciplinaire qu'elle mérite, tant auprès des sociologues que des psychologues, historiens, politistes et anthropologues. Rendre sa pensée plus accessible en en dégageant les motifs souterrains, et en dissipant quelques-uns des malentendus dont elle a pu pâtir, tel est le premier objectif de cet ouvrage. Quelques études de cas dans divers domaines illustrent la fécondité de ses apports : la question de l'authenticité, la notion d'élite, le statut d'artiste dans la modernité et le rôle de l'excitation dans les spectacles sportifs et la consommation des œuvres de fiction. Une courte postface propose un commentaire plus personnel sur la vie exceptionnelle d'un penseur hors du commun.
Erving Goffman (1922-1982) compte parmi les grands sociologues de langue anglaise. Asile, Stigmates, La mise en scène de la vie quotidienne, ses ouvrages les plus connus, prennent pour objet l'interaction dans l'expérience ordinaire. Les cadres de l'expérience (1974) s'attache également aux situations les plus banales, mais dans une problématique différente : celle de la structure de l'expérience de la vie sociale, analysée à travers les principes d'organisation qui nous permettent de définir une situation, c'est-à-dire de répondre à la question " Que se passe-t-il ? ". Ces principes sont ce que Goffman nomme des " cadres ", grâce auxquels l'individu peut reconnaître un événement puis adapter sa conduite. Cadres naturels, sociaux, primaires, transformés, en forme de modes ou de fabrication : leur agencement obéit à une véritable grammaire, que nous maîtrisons plus ou moins sans en avoir conscience.
Après avoir présenté en détail ce modèle, Nathalie Heinich analyse les réactions qu'il a suscitées dans la sociologie américaine, puis elle le met à l'épreuve de plusieurs exemples : un film de Truffaut, le Pont-Neuf de Christo, la corrida, le canular en art, l'édification contemporaine d'un château médiéval... Ce livre propose ainsi la première présentation en français d'un ouvrage largement méconnu dû à un sociologue majeur.
A l'heure où disparaissent les derniers rescapés des camps nazis, subsiste malgré tout la parole de ceux qui ont réussi non seulement à survivre, mais à témoigner. Ce sont les diverses modalités de cette sortie du silence, et leurs répercussions indissociablement éthiques et épistémologiques, qu'analyse cet ouvrage.
Être ambivalent, c'est vouloir à la fois une chose et son contraire : l'émancipation et la servitude, l'autonomie et la protection, la liberté sexuelle et la dépendance affec-tive. Depuis environ trois générations, nous disposons de modèles identitaires qui garantissent aux femmes une indépendance matérielle sans renoncement à la vie sexuelle ni stigmatisation sociale. Mais cette conquête est récente et l'ordre traditionnel encore très présent dans les esprits : d'où d'inévitables difficultés à assumer une émancipation pourtant désirée et revendiquée.
A ces ambivalences s'ajoutent des contradictions plus directement politiques dans la façon de définir les combats féministes. Car on peut aujourd'hui se dire féministe en revendiquant comme en refusant la loi sur la parité électorale, la féminisation systématique des noms de profession ou encore la liberté de prostitution et la pornographie. Voilà qui complique singulièrement le paysage confortable où sont censés s'affronter les méchants dominants et les gentilles dominées.
Il est possible d'opposer à cette complexité du réel autre chose que les simplifications bêtifiantes du « politiquement correct ». Repérer les contradictions plutôt que les dénier, les comprendre plutôt que les stigmatiser, et reconstruire à partir de là des positions plus cohérentes et plus lucides : tels sont les objectifs des différents textes réunis ici.
« La laïcité suscite d'intenses controverses », rappelle l'historien et sociologue Jean Baubérot au seuil de cette correspondance musclée avec la sociologue Nathalie Heinich. Leurs échanges le confirment. Au nom de quelle laïcité parlons-nous ? Quelle laïcité voulons-nous ?
Si Jean Baubérot prône une laïcité d'inclusion, Nathalie Heinich refuse les compromis qui ne seraient que renoncements aux valeurs républicaines dès lors que pointe, à ses yeux, l'offensive religieuse.
Derrière la laïcité, c'est la question de la République qui se pose, mais également celle de la frontière entre sciences sociales et engagement militant que réaffirment les deux auteurs chacun à leur manière.
Les hommes ne le savent peut-être pas, mais ce dont la plupart des femmes préfèrent parler entre elles, ce n'est pas d'eux : c'est de leur mère. En effet, si les femmes ne deviennent pas toutes mères, si les mères n'ont pas toutes des filles, toutes ont une mère. S'interroger sur la relation mère-fille est donc leur lot commun. C'est aussi celui des hommes, impliqués, qu'ils le veuillent ou non, dans cette relation. À partir de cas empruntés à la fiction (romans et films), Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich reconstituent l'éventail de toutes les relations possibles, montrant comment s'opèrent la transmission des rôles et la construction des identités, de génération en génération. Ainsi se dessinent les conditions d'une bonne relation. Car, dans l'expérience délicate qui consiste à être une fille pour sa mère et éventuellement une mère pour sa fille, il est sans doute des voies plus praticables que d'autres.