«Valeurs» : jamais ce terme n'a été aussi fréquemment invoqué, alors même qu'il est peu ou mal défini. Plutôt que de contourner ou de disqualifier la question, Nathalie Heinich l'aborde avec sérieux, au moyen des outils des sciences sociales, en adoptant une approche descriptive, compréhensive et résolument neutre. Elle montre ainsi que les valeurs ne sont ni des réalités ni des illusions, mais des représentations collectives cohérentes et agissantes.
Contrairement à la philosophie morale, qui prétend dire ce que seraient de «vraies» valeurs, la «sociologie axiologique» s'attache à ce que sont les valeurs pour les acteurs : comment ils évaluent, opinent, pétitionnent, expertisent ; comment ils attribuent de «la» valeur, en un premier sens, par le prix, le jugement ou l'attachement ; comment les différents objets valorisés (choses, personnes, actions, états du monde) deviennent des «valeurs» en un deuxième sens (la paix, le travail, la famille) ; et comment ces processus d'attribution de valeur reposent sur des «valeurs» en un troisième sens, c'est-à-dire des principes largement partagés (la vérité, la bonté, la beauté), mais diversement mis en oeuvre en fonction des sujets qui évaluent, des objets évalués et des contextes de l'évaluation.
L'analyse pragmatique des jugements produits en situation réelle de controverse, de différend impossible à clore, tels les débats sur la corrida, permet à l'auteur de mettre en évidence la culture des valeurs que partagent les membres d'une même société. On découvre ainsi que, contrairement à quelques idées reçues, l'opinion n'est pas réductible à l'opinion publique, pas plus que la valeur ne l'est au prix, ni les valeurs à la morale ; que les valeurs ne sont ni de droite ni de gauche ; et qu'elles ne sont ni des entités métaphysiques existant «en soi», ni des constructions arbitraires ou des dissimulations d'intérêts cachés.
Pour retrouver l'effet d'étrangeté que produisit l'emballage du Pont-Neuf, il faut remonter dans le temps, quand Christo était encore peu connu du grand public.
En 1985, le sens d'une entreprise aussi inédite, collective et éphémère, était loin d'aller de soi, en tout cas pour les non-initiés : avait-on encore affaire à un ouvrage d'art - le pont - ou bien à une oeuvre d'art ? Comment se faire une opinion ? Et fallait-il même prendre tout cela au sérieux, qui défiait autant le sens commun que la sociologie ?
L'enquête menée à l'époque par Nathalie Heinich permet de s'immerger dans le Paris du premier « effet Christo ». Truffée d'anecdotes savoureuses et de documents originaux, elle offre une introduction remarquablement vivante à la question des frontières de l'art.
Depuis le début du siècle, et plus radicalement depuis les années cinquante, les avant-gardes artistiques réitèrent sous différents angles l'opération qui consiste à transgresser une frontière et, en la transgressant, à la donner à voir frontières de l'art lui-même tel que le définit le sens commun (beauté, expressivité, signification, pérennité, exposabilité, et jusqu'aux matériaux traditionnels que sont la peinture sur toile et la sculpture sur socle), frontières matérielles du musée, frontières mentales de l'authenticité, frontières éthiques de la morale et du droit. Ainsi s'est constitué un nouveau « genre » de l'art, occupant une position homologue de celle de la « peinture d'histoire » à l'âge classique.
À cette déconstruction des principes canoniques définissant traditionnellement l'oeuvre d'art, les différentes catégories de publics tendent bien sûr à réagir négativement, en réaffirmant - parfois violemment - les valeurs ainsi transgressées. Mais peu à peu, les médiateurs spécialisés (critiques d'art, galeristes, collectionneurs, responsables institutionnels) intègrent ces transgressions en élargissant les frontières de l'art, provoquant ainsi de nouvelles réactions - et de nouvelles transgressions toujours plus radicales, obligeant les institutions à toujours plus de permissivité, et instaurant une coupure toujours plus prononcée entre initiés et profanes.
C'est là le jeu à trois partenaires, ce « triple jeu » qui donne sens aux étranges avatars des avant-gardes actuelles. Pour le comprendre, il faut donc s'intéresser non seulement aux propositions des artistes (peintures et sculptures, installations et assemblages, performances et happenings, interventions in situ et vidéos), mais aussi aux réactions auxquelles elles donnent lieu (gestes, paroles, écrits) et aux instruments de leur intégration à la catégorie des oeuvres d'art (murs des musées et des galeries, argent et nom des institutions, pages des revues, paroles et écrits des spécialistes). Aussi faut-il associer ces trois approches trop compartimentées que sont la sociologie des oeuvres, la sociologie de la réception et la sociologie de la médiation. C'est ce que propose ce livre, empruntant aux tendances les plus récentes des sciences sociales, à partir d'une analyse esthétique des oeuvres d'art contemporain, ainsi que d'enquêtes auprès des publics, d'observations de terrain, de statistiques et d'analyses de textes. Dans l'atmosphère de lutte de clans qui entoure aujourd'hui l'art contemporain, partisans et opposants se demanderont sans doute de quel bord est issue cette réflexion. Elle a toutes chances de conforter et d'agacer les uns comme les autres : elle agacera ses adversaires en confortant ses défenseurs, parce qu'elle montre que les pratiques artistiques les plus déroutantes obéissent à une logique, ne sont pas « n'importe quoi » ; et elle confortera ses adversaires en agaçant ses défenseurs, parce que la logique qu'on y découvre n'est pas forcément du même ordre que celle qu'y voient spécialistes ou amateurs. Mais il ne s'agit plus ici de prendre parti dans les querelles virulentes à propos de l'art contemporain : il s'agit de prendre pour objet (entre autres) ces querelles, en mettant en évidence ce qui les sous-tend - pour le plaisir de comprendre non seulement le jeu de l'art contemporain, mais aussi les valeurs dont il joue, et qui concernent tout un chacun.
L'art est un objet critique de la sociologie : parce qu'il est investi des valeurs mêmes - singularité et universalité contre lesquelles s'est construite la tradition sociologique, il incite, plus que tout autre domaine, à opérer des déplacements qui affectent non seulement la sociologie de l'art, mais l'exercice de la sociologie en général.
Il est donc temps d'observer non plus ce que la sociologie fait à l'art, mais ce que l'art peut faire à la sociologie dès lors qu'on prend au sérieux la façon dont il est perçu par les acteurs, ainsi se redistribuent les approches méthodologiques et théoriques, permettant de revenir sur des habitudes mentales ancrées dans une tradition sociologique qui n'est encore le plus souvent qu'une idéologie du social - une socio-idéologie.
Sociologue de l'art, auteur d'une trentaine d'ouvrages et d'un grand nombre d'articles dans des revues de sciences sociales françaises et étrangères, traduite dans le monde entier, Nathalie Heinich revient dans cet entretien sur son parcours atypique : des études de philosophie en province au séminaire de Pierre Bourdieu à Paris, des années noires de l'« intello précaire » au CNRS et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, de l'après-68 à l'entrée dans le XXIe siècle, elle raconte concrètement comment se fait une carrière de chercheur, comment émergent les thèmes de recherche, comment se fabriquent les enquêtes, comment s'écrivent et se publient les articles et les livres, à quelles lectures parfois inattendues ils donnent lieu.
Comprendre les mystères de l'art contemporain en BD à travers trois portraits représentatifs.
Statut des artistes, critères d'acceptabilité, rôle essentiel des intermédiaires et des institutions... Pour qu'il soit compris, l'art contemporain exige ces clés d'entrée. Véritable photographie sociologique du monde de l'art contemporain en ce début du XXIe siècle, cette bande dessinée s'est donné pour objectif de suivre les itinéraires de trois archétypes d'artistes afin de mieux nous faire comprendre le fonctionnement interne de l'art d'aujourd'hui.