Depuis le milieu du xxe siècle, l'identité a envahi les sciences humaines et sociales - du discours public et journalistique, elle est devenue un mot de passe de notre époque dont l'extension toujours accrue dissimule mal le vague, et parfois l'absence complète de signification.
Claude Romano développe un examen logique et philosophique de cette notion qui en exhume l'arrière-plan historique, notamment celui des égologies modernes, et propose une réorientation complète de l'enquête. L'identité, qui possède un enjeu véritable dans nos vies, n'est pas celle qui a servi de fil conducteur à la philosophie récente, celle qui fournit une réponse à la question de l'identification (qui ?) - à la manière dont nous identifient nos papiers d'identité. C'est au contraire une identité à l'égard de laquelle nous exerçons une responsabilité inaliénable, dans la mesure où nous jouissons d'une certaine autorité pour nous définir. Une identité « en dialogue » qui ne saurait être dissociée de nos interactions avec autrui et est sociale de part en part ; une identité qui n'est plus celle du moi cartésien ou lockien, mais est liée à l'être humain que nous sommes. Celle que les totalitarismes ont cherché à détruire et qui demeure l'emblème de notre fragile humanité.
Claude Romano enseigne à Sorbonne-Université et à l'Australian Catholic University. Il a été récemment titulaire de la chaire Gadamer à Boston College (2019-2020) et de la chaire Perelman à l'Université libre de Bruxelles (2021-2022). Ses travaux portent principalement sur la phénoménologie, l'herméneutique et l'histoire de la philosophie, en particulier dans Être soi-même (Gallimard, 2019).
Les couleurs existent-elles dans les choses ou n'ont-elles deréalité que dans notre regard ? Sont-elles matière ou idée ? Entretiennent-elles les unes avec les autres des rapports nécessaires ou sont-elles seulement connues de manière empirique ? Y a-t-il une logique de notre monde chromatique ? Pour répondre à ces questions, Claude Romano convoque l'optique, la physique, les neurosciences, la philosophie et la peinture.
En retraversant certaines étapes décisives de la réflexion sur ces problèmes (de Descartes à Newton, de Goethe à Wittgenstein, de Schopenhauer à Merleau-Ponty), il développe une conception réaliste qui replace le phénomène de la couleur dans le monde de la vie et le conçoit comme mettant en jeu notre rapport à l'être en totalité : perceptif, émotionnel et esthétique. L'auteur fait ainsi dialoguer la réflexion théorique et la pratique artistique. C'est parce que la couleur touche à l'être même des choses, en révèle l'épaisseur sensible, que la peinture, qui fait d'elle son élément, est une opération de dévoilement.
L'Odyssée, le plus ancien poème de la culture occidentale, met en scène la métamorphose qui change Ulysse en lui-même sous les yeux dessillés de ceux qui échouaient jusque-là à le reconnaître.
Ulysse constitue ainsi la première d'une longue série de figures donnant corps à cette opération mystérieuse : le passage de l'existence en régime d'obscurité à l'existence "en personne", dans une forme de vérité. Que signifie un tel passage ? Comment s'opère cette transition ? Quelles formes cette idée d'existence en personne a-t-elle pu revêtir dans la pensée occidentale ?
Claude Romano interroge les sources, y compris lointaines, de cette idée d'"existence en vérité" telle qu'elle sous-tend notamment l'idéal moderne d'authenticité personnelle, en retraçant la généalogie de cet idéal et en exhumant certaines de ses formes plus anciennes. Chemin faisant, le lecteur découvre différents types et régimes de discours, philosophique, mais aussi théologique, spirituel, rhétorique, littéraire, esthétique. Romano esquisse ainsi une histoire de la philosophie occidentale aux contours bien différents de ceux qu'on lui prête généralement : à l'écart des grandes métaphysiques du moi et de la subjectivité, il emprunte les chemins de traverse d'une enquête sur les formes de vie et les modes d'existence.
Paru pour la première fois en deux volumes il y a une vingtaine d'années et réédité plusieurs fois entre-temps, L'événement et le monde retrouve sa forme originelle, celle d'une seul et unique ouvrage dont l'édition a été entièrement révisée par l'auteur. Cet essai philosophique visant à comprendre l'homme comme « advenant », c'est-à-dire comme ce vivant auquel il peut arriver quelque chose, seul « capable » d'événements au sens fort du terme - de bouleversements complets de son existence -, pourra être ainsi redécouvert dans son intégralité. Cette phénoménologie de l'événement noue un dialogue étroit avec l'ontologie fondamentale de Heidegger dont elle souligne l'incapacité à intégrer la dimension « événementiale », et singulièrement le phénomène de la naissance, dans sa compréhension de l'existence humaine.
Claude Romano repense à nouveaux frais la méthode phénoménologique en la mettant en dialogue avec d'autres courants de la philosophie contemporaine, et notamment la philosophie analytique. Sa réflexion s'ordonne autour de trois axes. Tout d'abord, la question des rapports entre langage et expérience, dans le sillage des recherches empiriques en linguistique : le langage n'exige-t-il pas, pour pouvoir être compris, que l'on interroge ses liens avec des significations pré-linguistiques qui fondent notre expérience même du monde ? Ensuite, la question du réalisme : la phénoménologie entretient-elle une affinité nécessaire avec l'idéalisme, comme l'ont cru un certain nombre de disciples de Husserl, ou ne nous met-elle pas plutôt sur la voie d'un réalisme qui demanderait à être reformulé ? Enfin, comment une phénoménologie réaliste et soucieuse d'une articulation plus fine entre expérience et langage permet-elle d'approcher de manière renouvelée des phénomènes « classiques » comme le corps, les émotions ou l'habitude ?
Ni collection d'études, ni recueil, cet ouvrage réunit trois essais qui possèdent des liens organiques puisqu'ils s'efforcent de répondre à une seule et unique question : que peut devenir la phénoménologie une fois abandonnée la perspective transcendantale ?Ainsi, les deux premiers essais interrogent la manière dont une phénoménologie de l'événement peut offrir une alternative aux approches traditionnelles de l'ego ou du temps. Le dernier s'attaque à la racine même du paradigme « transcendantal » pour en mettre au jour les présupposés et les critiquer. Elle dessine les contours d'un holisme de l'expérience que l'auteur a présenté dans Au coeur de la raison : la phénoménologie (2010).
Le temps doit-il être pensé comme une détermination fondamentale du sujet ? La philosophie contemporaine de Kant à Heidegger en passant par Bergson et Husserl n'hésite pas à le soutenir. Le temps n'est pas d'abord dans les choses mais il provient plus originairement des actes, des attitudes ou des comportements par lesquels un sujet ou éventuellement un Dasein s'attend ou se souvient, anticipe le futur ou décide de lui-même, c'est-à-dire temporalise les différents temps.Cette thèse est discutée et analysée dans cet ouvrage. Quelle compréhension du temps au cours de la métaphysique a rendu possible sa subjectivation ? N'est-ce pas d'abord une ceraine saisie du phénomène temporel comme phénomène intra-temporel ? Et cette interprétation dont il devient possible de retracer la genèse à la lumière des analyses de Platon, Aristote et Augustin ne prescrit-elle pas son cadre conceptuel à la métaphysique elle-même ?Mais si la temporalité n'est pas pensable à l'aune de la subjectivité métaphysique, ne peut-on changer de fil conducteur ? C'est en ce point que cet ouvrage rejoint le précédent, L'événement et le monde, celui d'une herméneutique événementiale de l'humain, dont il constitue à la fois l'approfondissement et l'achèvement.
Combien de temps faudra-t-il supporter cela, ces souvenirs, me supporter, moi traversé de part en part, transpercé par ces souvenirs, moi qui ne suis plus que la traversée de ces souvenirs dans mon corps transpercé, traversé, combien de temps faudra-t-il donc la supporter, cette traversée du souvenir ? Je ne sais pas, ça passe, ça fuse, nous étions comme deux obus lancés à toute vitesse vers l'explosion, vers la désintégration, vers la catastrophe finale. Ça passe, ça fuse, ça doit être ça trépasser, ou bien non, ça serait trop facile, trop facile de finir ainsi. Combien de temps, je ne sais pas, mais ça ne va pas finir tout de suite, ce serait trop facile, peut-être même que ça ne finira pas, le risque en est réel. »
Si le « néant n'a pas de propriétés », selon la formule de Malebranche, a-t-il cependant une histoire ? C'est à cette paradoxale question que le présent livre s'attache en cherchant à déployer les différentes significations de ce qui n'est pas, du radicalement non-étant parménidien jusqu'à l'être selon Heidegger qui, n'étant rien d'étant, est le Rien (Nichts) rendant possible la manifestation de l'étant. On le voit, l'histoire dont il s'agit ici est celle de la métaphysique, traversée par la tension entre un rejet pur et simple du néant, réduit à n'être qu'un mot (pour saint Augustin, Bergson et Carnap notamment), et, au contraire, l'affirmation d'une certaine positivité de ce qui ne relève pas directement d'une logique de l'être (pour Platon, Proclus, Scot Érigène, Maître Eckhart ou Schelling, par exemple). Loin d'impliquer nécessairement la disparition, l'absence ou la mort, le néant permet de penser l'altérité, la matière, le devenir, la liberté humaine ou la suréminence du Premier Principe. Certains des textes de ce volume étaient inédits en français, la plupart ont été retraduits en étant attentif au vocabulaire du néant qui cherche à en saisir la nature fuyante.