"Si toute condition humaine n'est pas renfermée dans ces pages, du moins est-il certain qu'elle ne cesse pas d'y être en question, et si tragiquement, si profondément que le livre se trouve encore accordé par ses accents aux peines les plus lourdes et aux plus grandes souffrances. C'est un sûr gage de son exceptionnelle valeur. [...]
La plus grande beauté du livre - et je ne dis rien de l'intensité de certaines descriptions ou de certaines scènes qui appellent l'image de reproduction cinématographique - est dans quelques conversations terriblement lucides au cours desquelles les personnages, haussés au-dessus d'eux-mêmes par l'événement, livrent tout leur secret. C'est là qu'il faut chercher l'esprit de l'oeuvre, la définition qu'on peut tirer de notre condition.
Nous sommes seuls, d'une solitude que rien ne peut guérir, contre laquelle nous ne cessons pas de lutter."
Jean Guéhenno
Prix Goncourt
Le livre de Malraux reflète fidèlement le désarroi, les promiscuités et les atrocités d'une révolution ; mais il en exprime aussi la conscience, le sens, le mouvement souterrain. Et c'est parce qu'il ne cache rien des horreurs et des niaiseries de la guerre civile, qu'il charge son titre d'une valeur singulière. Voici les fautes, voici les sots, les mercenaires, les guerriers, voici le doute qui prend le plus résolu quand, à l'instant de mourir, il sent que son corps était beau ; mais voici cette attente, cet appel, cette recherche, on ne sait au juste de quoi, de quelque chose qui efface le passé, d'une communion plus intime dans le danger, la lutte, la souffrance, d'une patrie, d'une gestation, d'une justification par le sacrifice ; - l'espoir.
«Qu'avaient vu, jusqu'en 1900, ceux dont les réflexions sur l'art demeurent pour nous révélatrices ou significatives, et dont nous supposons qu'ils parlent des mêmes oeuvres que nous [...] ? Deux ou trois grands musées, et les photos, gravures ou copies d'une faible partie des chefs-d'oeuvre de l'Europe. [...] Aujourd'hui, un étudiant dispose de la reproduction en couleurs de la plupart des oeuvres magistrales, découvre nombre de peintures secondaires, les arts archaïques, les sculptures indienne, chinoise, japonaise et précolombienne des hautes époques, une partie de l'art byzantin, les fresques romanes, les arts sauvages et populaires. [...] nous disposons de plus d'oeuvres significatives, pour suppléer aux défaillances de notre mémoire, que n'en pourrait contenir le plus grand musée.Car un Musée Imaginaire s'est ouvert, qui va pousser à l'extrême l'incomplète confrontation imposée par les vrais musées : répondant à l'appel de ceux-ci, les arts plastiques ont inventé leur imprimerie.»
- Pourquoi faut-il attendre l'âge de quarante ans pour être écouté?
André Malraux - Avec votre question m'apparaît ceci : en réalité ce qu'on a à dire d'important, on le dit toujours à des jeunes gens.
L'Europe et sa construction, le communisme, les héroïnes romanesques, Dieu, la révolution et les barricades... Questionné par des étudiants quelques mois avant Mai 68, puis en conférence de presse peu après les événements, André Malraux se prononce.
Lorsqu'on croit tout connaître d'un auteur, il manque encore sa vie intime, dont les lettres apportent la trace. On trouvera ici un autre Malraux, simple, drôle, ami fidèle, tantôt lyrique, tantôt farfelu. Et puis un réseau d'amis qui s'appelaient André Gide, Roger Martin du Gard, Raymond Aron, Max Jacob, Louis Guilloux. Et la présence de l'histoire, quand il s'agit du général de Gaulle et d'Indira Gandhi. On entre ainsi, à travers ces lettres pour la première fois livrées aux lecteurs, à l'intérieur d'un des plus grands cerveaux de notre époque et on lit une oeuvre dans l'oeuvre, où il est de nouveau question du roman, de l'art et de la vie.
L'Homme précaire est à la littérature ce que La Métamorphose des dieux est aux beaux-arts.
Malraux propose d'appliquer à la littérature la périodisation de l'histoire de l'art qu'il avait dégagée pour renouveler notre expérience des oeuvres : une première période de figuration d'un surnaturel invisible, objet de prière et de dévotion ; une deuxième, à partir de la Renaissance, au cours de laquelle l'art visait à représenter le monde réel, pour s'approcher toujours plus de l'illusion ; mais plus cette illusion était poussée, plus elle occultait l'acte créateur, qui, dans un troisième temps et grâce à la rupture initiée par Manet, devint désormais l'essentiel.
Appliquée à la littérature, cette tripartition en bouleverse notre conception. La fiction est la notion pivot qui permet de distinguer respectivement les trois moments. Elle est, pour chacun d'entre nous, une expérience majeure : parce qu'elle nous fait vivre par procuration une vie, c'est-à-dire un temps autre que le nôtre, elle porte plus loin qu'un simple divertissement.
Énigme des Noyers de l'Altenburg : c'est un dernier roman. Quand le livre paraît, André Malraux a quarante et un ans ; dans le tiers de siècle qui lui reste à vivre, il publiera la longue suite des écrits sur l'art et ces oeuvres dont le titre, Antimémoires, résume l'ambition.
Si le cas des Noyers est singulier, c'est qu'il y a abandon non seulement d'un projet, mais du genre même où Malraux avait affirmé sa maîtrise : le roman. Dans ce livre, nombreux sont les souvenirs personnels : l'Alsace entrevue en 1922, le premier retour en Europe, à Marseille, la découverte de la Perse et de l'Afghanistan, les décades de Pontigny, l'expérience militaire de 1939-1940. Tout ce qu'a vécu Malraux, il l'a 'transformé en fiction', prêtant tantôt au narrateur, tantôt à son père, ses propres aventures et sentiments. Parfois l'auteur transpose simplement les lieux ou les dates : ainsi la cathédrale de Sens est transportée à Chartres. Pour l'écrivain, tout devient métamorphose : la vie, les lectures, les souvenirs, les passions...
Un sous-officier me fit signe de sortir ; la cour était pleine de soldats. Je pouvais faire quelques pas. Il me tourna vers le mur, les mains appuyées sur les pierres au-dessus de ma tête. J'entendis un commandement : Achtung, je me retournai : j'étais en face d'un peloton d'exécution.
'Ce qui me fascine dans mon aventure, c'est la marche sur le mur entre la vie et les grandes profondeurs annonciatrices de la mort. C'est aussi le souvenir de ces profondeurs. Les réanimés ne se souviennent de rien (de rien, mais de conversations entre les médecins !). La rencontre avec la part de l'homme qui marche, geint ou hurle quand la conscience n'est pas là.
J'ai été conscient de ne plus savoir où j'étais -, d'avoir perdu la terre. Pas d'autre douleur que celle des autres, qui bat confusément cette chambre blanche où veille la petite lampe de la nuit comme, dans ma chambre de Bombay, la rumeur de l'Océan battait la grève. Je suis lucide, d'une lucidité limitée au ressassement d'une terre de nulle part, à la stupéfaction devant cet état ignoré. Ce qui s'est passé n'a rien de commun avec ce que j'appelais mourir.'
En 1972, André Malraux, 'atteint d'une maladie du sommeil', est hospitalisé à la Salpêtrière. De cette expérience va naître Lazare, un de ses plus beaux livres, celui qu'il choisit pour clore le cycle du Miroir des limbes.
"On lit ce livre avec un plaisir assez unique. Il peut tour à tour réjouir et indigner n'importe qui. Les étrangetés y sont convaincantes, les textes connus y paraissent neufs. La durée y est non pas fiévreuse, mais infatigable. À tout instant, sans un temps mort, on change de lieu, de sujet, d'interlocuteur. Malraux fait revivre la célèbre vivacité napoléonienne, Napoléon se prête merveilleusement à un film malrucien.
Alors paraissent au grand jour toutes nos contradictions innées. Le rassembleur est un individualiste. Une révolution qu'on sauve est tuée et une révolution qui se suicide se propage. Napoléon a des modesties provocantes et des hauteurs ubuesques. Sa lucidité surprend et ses inconsciences n'étonnent pas moins. Sa promptitude légendaire n'est pas exempte de bévues. Il touche à tout avec un bonheur déconcertant et de sinistres lacunes. Une réussite de rêve aboutit à une chute qui fait songer mais qui nimbera l'épreuve.
Malraux a cru n'avoir qu'ausculté son héros à travers les textes qui en émanent, au point de n'avoir ni signé ni présenté son montage. Mais le découpage des phrases, leur isolement ou leur regroupement, leur transposition, leur distribution selon l'irréversible chronologie d'une vie, et aussi, bien sûr, les omissions font un Napoléon plus vrai que nature."
Jean Grosjean.
"Un sous-officier me fit signe de sortir ; la cour était pleine de soldats. Je pouvais faire quelques pas. Il me tourna vers le mur, les mains appuyées sur les pierres au-dessus de ma tête. J'entendis un commandement : Achtung, je me retournai : j'étais en face d'un peloton d'exécution."
« Comprendre Malraux, c'est d'abord l'écouter. Sa parole est une illumination. Un éclairage indispensable (...) Au commencement, donc, il y a sa voix. Cette voix, que nous avons voulu faire entendre ici, surgie des limbes, intacte, est un défi au temps qui nous broie et à l'intelligence qui nous manque. Une voix à l'affût des éternelles projections de l'âme humaine. La voix, chez Malraux, est le pendant du regard - ce regard unique qu'il sut porter sur la politique, l'histoire, l'art. C'est la voix de la France. » François BUSNEL
Enregistrement inédit de l'Assemblée nationale.
« (...) une bande magnétique miraculeusement conservée au Palais Bourbon nous donne à entendre la voix inimitable, la verve et la force démonstrative du grand Malraux, auditionné le 12 mai 1976 par les députés membres de la commission spéciale dite « des libertés ».
Evoquant tour à tour l'Etat, la démocratie, l'enseignement, l'ancien ministre de la Culture développe sa vision de la liberté et de l'action publique. Le premier, Malraux avait proposé d'enregistrer les cours des grands philosophes contemporains pour les diffuser dans le pays et par-delà le temps ; à son tour, six mois avant sa mort, c'est un testament politique et moral qu'il laisse aux générations à venir.
J'ai voulu rendre accessible à tous cette archive sonore exceptionnelle, un enregistrement qui témoigne par ailleurs de ce que peut être le travail en commission, moins connu que la séance publique et pourtant si crucial.
« Il y a un héritage de la noblesse du monde et il y a notamment un héritage de la nôtre », disait Malraux. Soyons à notre tour de dignes héritiers de son oeuvre et de son exemple. »
Jean-Louis Debré - Président de l'Assemblée nationale
« Qu'est-ce, en effet, que la liberté de ne rien faire si personne n'est là pour vous en empêcher ? Au cours de l'histoire, les sources de contraintes se sont succédées : pour le XVIIIe siècle, c'étaient les privilèges et la religion ; pour la Convention, c'étaient les rois ; pour Marx et Lénine, c'était le capital. »
André Malraux - Introduction du Discours du 12 mai 1976.
André Malraux, dont on ne rappelle plus l'importance dans la vie politique, littéraire et artistique du XXè siècle, fut également l'un des plus grands tribuns de son temps. Frémeaux & Associés remercie l'Assemblée nationale, qui vient d'exhumer cet enregistrement, ainsi que Florence Malraux, qui en a autorisé la diffusion auprès du public. Témoignage du patrimoine immatériel détenu par l'Assemblée nationale, cet enregistrement manifeste la richesse de la réflexion élaborée dans les arcanes de nos institutions politiques.
Patrick Frémeaux
"Cet agnostique fut le dernier religieux dans un monde d'incrédules."
Régis Debray - Le siècle ou sa légende 1976 - Site Assemblée nationale
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.